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vendredi 29 mars, 2024

Algérie : Mohamed Boudiaf, Révolution et indépendance nationale confisquées

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Entrant dans la zone de turbulences de la fin du système Bouteflika et de la consécration de la suprématie des assassins, des rentiers et des médiocres qui vont livrer l'Algérie pieds et mains liés au néocolonialisme, le destin a voulu que nous tombions sur un texte majeur de Si Tayeb El-Watan (le martyr Mohamed Boudiaf).

Ce texte traduit la grandeur, la noblesse et la vision lucide d'un homme que le colonialisme n'est parvenu ni à corrompre ni à faire taire mais que les Algériens, à la solde de l'Etranger et au service de leur rente, ont lachement assassiné après avoir sali sa mémoire en lui imputant une réputation de franc-maçon et d'éradicateur qui aurait confisqué le choix du peuple.On a fait vendre l'idée au peuple algérien, l'idée que Mohamed Boudiaf est venu liquider le FIS. De la même manière qu'on a poussé le FIS à entrer en conflit avec le gouvernement Hamrouche, on a fait entrer les "traqués" du FIS en conflit contre Boudiaf pour faire diversion voire subversion. Son assasinat témoigne de la violence, de la curauté et de la malédiction de ce régime manipulateur et maffieux.

Jouant sur son patriotisme et son isolement dans le paysage politique et médiatique algérien on l'a utilisé, avant de l'assassiner, comme écran pour faire oublier quatre faits majeurs :

  • le renversement du gouvernement Hamrouche, le coup d'état contre Chadli et la liquidation des réformes politiques et économiques,
  • l'annulation du processus électoral par les Janviéristes et la conduite de l'Algérie vers la guerre civile et la braderie de ses ressources,
  • la récupération de la figure du patriote Boudiaf par les traitres, les opportunistes et les ennemis de la révolution algérienne pour créer le RND,
  • la liquidation au profit du néocolonialisme d'une figure anti-colonialiste qui avait sans doute compris le complot mené contre l'Algérie.

L'Algérie a produit et doit continuer de produire de grands esprits lucides sur l'actualité et les grosses tendances pour indiquer l'avenir et montrer les solutions adaptées et inédites qui s'imposent. Nous devons faire preuve de la même lucidité, de la même clarification contre la confusion, et du même engagement, car hier comme aujourd'hui l'Algérie est en quête de son indépendance. Le texte de Si Tayeb décrit la déliquescence du système actuel et la morbidité des partis politiques qui deviennent davantage un encombrement qui gène la libération du peuple que des instruments de libération du peuple, des moyens d'aliénation et de diversion que des passerelles qui permettent au peuple l'exercice souverain politique et économique. Un algérien qui avait une vision prémonitoire sur l'Algérie et qui continue à titre posthume de nous livrer une grille de lecture et un mode opératoire si nous faisions juste l'effort d'une Bassira et d'un coeur vivant.

Omar Mazri

I – Extraits répondant à notre situation présente

A- Qu’en est-il des partis ?

  • a) Le FLN et les autres partis « classiques » gardent une obsession d’une répétition de cette sauvage répression qui les a marqué comme les partis d’avant 1954 et les a éloignés d’une analyse courageuse qui les aurait mieux inspirés dans la recherche d’une politique réaliste, populaire et hardie.
  • b) Quels moyens adéquats sont capables de nous permettre de nous mobiliser pour faire face à la force qu’on a opposée aux choix du peuple ?
  • c) En premier lieu, les conséquences des évènements sur, d’une part, le peuple et, d’autre part, les partis politiques qui le représentaient ? Le schéma des forces en présence est sans conteste, que les partis « classistes » ont beaucoup perdu de leur audience.
  • d) En conséquence, la coupure des forces militantes algériennes et leur regroupement en deux principaux courants dont les luttes dominent la scène politique à la suite de la révolution.
  • e) Elle a renforcé, dans une grande mesure, la prise de conscience populaire et a surtout aidé à la promotion d’un bon nombre de cadres.
  • f) Les principales causes de la séparation viennent d’une incapacité de s’inspirer du peuple, des oppositions entre les hommes élevées au-dessus des idées et des principes, et en dernier lieu du vieillissement rapide, qui s’accommode facilement de tout ce qui est immobilisme.
  • g) En résumé, la Révolution, si elle ne met pas totalement fin aux luttes politiques, n’en marqua pas moins leur dépassement et leur faiblesse manifeste face à une politique répressive de l’administration étrangère agressive.

B- Que nous est-il donné de retenir de cette première partie ?

1. La faillite des partis politiques, complètement déphasés par rapport au peuple dont ils n’ont pas su ou pu s’inspirer à temps pour saisir sa réalité et comprendre ses aspirations profondes. Deux forces aussi décidées l’une que l’autre : d’une part, un peuple disponible, ayant gardé intact son énorme potentiel révolutionnaire et, d’autre part, une avant-garde militante,

2. À la différence d’autres révolutions, la nôtre en 1954 est née à un moment crucial qui lui confèrera son caractère particulier d’autonomie et son indépendance vis-à-vis de toutes les tendances politiques l’ayant précédée.

3. De cette position de principe, il faut retenir également le souci des premiers hommes de la révolution d’introduire un autre esprit, d’autres méthodes et surtout une conception neuve tant en ce qui concerne les idées que l’organisation ou les hommes.

1- Née du peuple, la Révolution algérienne, à son départ, s’inscrit en faux contre toutes les manoeuvres de tendances ou concepts d’exportation quels qu’ils soient, plaçant la lutte sous le signe de l’union du peuple algérien en guerre, union solidement soudée par des siècles d’histoire, de civilisation, de souffrances et d’espoir.

2- Issue d’une période où les luttes des coteries et des personnes avaient failli tout emporter dans leur obstination aveugle et criminelle, la Révolution du 1er Novembre décréta le principe de la collégialité, condamnant à jamais le culte de la personnalité, générateur de discorde et nuisible, quelle qu’en soit la forme, à l’avenir d’un jeune peuple qui a besoin de tous ses hommes, de toutes ses ressources et d’une politique claire et franchement engagée qui ne peut être l’affaire d’un homme, aussi prestigieux soit-il, mais de toute une équipe d’hommes décidés, vigoureusement articulés en une organisation bien définie, disposés à donner le meilleur d’eux-mêmes avant de se faire prévaloir de tout titre, de toute légitimité et encore moins de droits acquis ou de prééminence de tout genre.

3- Partie intégrante et motrice de la formidable vague de fond qui secoue l’Afrique et l’Asie et continue de se propager en Amérique du Sud et partout ou persistent les germes de la domination politique ou économique, la Révolution algérienne, dès son début, s’est classée par rapport aux lignes de force de l’échiquier mondial.

4- Enfin, son caractère populaire et patriotique, sa coloration anticolonialiste, son orientation démocratique et sociale, sa position dans le Maghreb et son appartenance à la sphère de civilisation arabo-islamique sont autant de traits marquants que porte la Révolution algérienne dès sa naissance et qui détermineront son évolution et conditionneront son devenir.

Texte intégral : LE COMMENCEMENT DE LA REVOLUTION CONTRE LE COLONIALISME

De tous les travaux qui ont à ce jour traité de ladite Révolution, aucun n’est arrivé à éclairer valablement et d’une façon objective la phase historique, riche en enseignements, qui a préparé ce que certains ont appelé “la Nuit de la Toussaint”. Ici, une précision s’impose pour éviter tout rapprochement avec la fête des morts ou toute autre invention de plumitifs prompts à expliquer l’histoire par des arrangements malveillants qui, dans le fond, n’honorent pas leurs auteurs.

En réalité, le départ aurait dû avoir lieu le 18 octobre, et son report au 1er novembre n’a tenu qu’à des considérations d’ordre interne qu’il serait trop long d’exposer ici. La vérité est que le choix de cette date n’a été motivé par aucune intention de faire coïncider le déclenchement avec le culte des morts qui, certainement depuis qu’ils appartenaient à l’autre monde, devaient se désintéresser totalement des choses d’ici-bas entre Algériens colonisés et Français impérialistes. D’ailleurs, si l’on tient, malgré tout, à affubler la décision historique du 1er novembre de ce masque infâmant, nous serons bien aisés de notre côté d’aligner une longue liste de dates marquées par des hécatombes au compte du colonialisme français qui, depuis le jour où il à foulé la terre algérienne, et durant un siècle et trente et un ans, n’a respecté ni notre religion, ni nos fêtes, ni notre tradition pour perpétrer les pires crimes et exactions que l’histoire ait enregistrés depuis les âges les plus reculés de l’humanité. Un jour viendra où tous les crimes seront connus et, à ce moment, on oubliera volontiers de parler aussi légèrement du 1er novembre 1954 qui, pour nous, restera à jamais sacré et sera fêté pour avoir été l’avènement d’une marche historique qui a bouleversé un continent et qui n’a pas fini d’étonner le monde par sa puissance et sa vitalité face à un adversaire désorienté et complètement déréglé au point d’avoir dangereusement mis en cause ses valeurs, son équilibre psychologique et jusqu’à sa cohésion nationale.
Pour comprendre ce faisceau d’interactions et de réactions découlant de la Révolution algérienne, soumettons à l’analyse les raisons profondes qui ont donné vie à ce 1er novembre et à ses suites.

Déjà, en 1945, les prémices d’un tel bouleversement étaient clairement prévisibles à l’observateur lucide et impartial, car le lien entre les évènements de mai 1945 et le départ de la Révolution en novembre 1954 est tellement étroit qu’il mérite d’être souligné ici sous peine de nous voir tomber dans l’erreur commise par la plupart de nos dirigeants politiques d’avant le 1er Novembre. En effet, les uns comme les autres ont ou sous-estimé les répercussions du drame de mai 1945 ou tout simplement gardé une obsession d’une éventuelle répétition de cette sauvage répression qui, tout en les marquant, les a éloignés d’une analyse courageuse qui les aurait mieux inspirés dans la recherche d’une politique beaucoup plus réaliste et beaucoup plus hardie.
Nous avons parlé plus haut d’un lien entre les deux évènements : lequel ? Effectivement, le 8 mai 1945, était la manifestation d’un même état d’esprit d’un peuple épris de liberté avec cette différence qu’en 1945, il croyait encore en la possibilité de recouvrer ses droits par des moyens pacifiques, alors qu’en novembre 1954 il était décidé, instruit par son premier échec, à ne plus commettre d’erreurs et à utiliser les moyens adéquats capables de faire face à la force qu’on lui a toujours opposée. C’est cette évolution lente, quelquefois incertaine et latente, que nous nous proposons de refléter dans ce qui va suivre…

En premier lieu, quelles ont été les suites des nombreux évènements de mai 1945 sur, d’une part, le peuple et, d’autre part, les partis politiques qui le représentaient ? Contrairement à ce qu’on attendait, au lieu que ce coup de force renforça l’union nationale, il produisit la dislocation malheureuse des AML, qui avaient, en mars 1945, réussi, pour la première fois, à réunir, à l’exception du PCA, toutes les tendances de l’opinion algérienne. En effet, sitôt les prisons ouvertes en mars 1946, sitôt la concrétisation de cette coupure en deux courants : le PPA – MTLD, ou tendance révolutionnaire et l’UDMA, ou tendance réformiste. Je ne parle pas ici du PCA qui reste, jusqu’en 1954, minoritaire et sans influence sur la suite des évènements, ni d’ailleurs de l’association des oulémas dont le programme se voulait beaucoup plus orienté vers l’instruction et l’éducation en dépit de leur sympathie non déguisée pour le réformisme de l’UDMA. Il est inutile également de faire cas de ceux qu’on appelait les indépendants, les exécutifs zélés de la colonisation, ce qui, à juste titre, leur avait valu l’appellation pittoresque de “béni-oui-oui”.

À retenir donc que les évènements de 1945, tout en donnant au peuple une leçon chèrement acquise sur ce que devrait être une véritable lutte pour l’indépendance nationale, provoquèrent, du coup, la coupure des forces militantes algériennes et leur regroupement en deux principaux courants dont les luttes dominèrent la scène politique jusqu’en 1950. Avec le recul, on réalise nettement le rôle joué par les sanglantes journées qui ont suivi le 8 mai 1945 sur le plan de la classification politique en Algérie et de ce qu’il va en sortir.
Abandonnons, pour plus de clarté, l’aspect événementiel de cet affrontement pour nous consacrer uniquement à ses effets sur le schéma des forces en présence. Effectivement, il n’a pas fallu attendre longtemps pour constater la fin de cette étape qui a prouvé, s’il en était besoin, que la voie du salut était ailleurs.

Comment alors se présentait le schéma né de cette période de 1945 à 1950 ? Sans conteste, les partis, d’un bord comme d’un autre, avaient beaucoup perdu de leur audience ; quand aux masses, gavées de mots d’ordre contradictoires, d’où rien n’était sorti, elles donnaient l’impression, après cette bagarre de slogans et de palabres, d’une lassitude indéniable et d’une conviction non moins solide de l’inefficacité des uns et des autres. Il n’était pas rare, en ces temps, d’entendre des propos du genre : “À quoi bon s’exprimer pour rien ? Ils sont tous les mêmes : beaucoup de palabres mais de résultat, point. Qu’ils s’entendent et se préparent s’ils veulent parvenir à un résultat. Sans armes on ne parviendra à rien etc. etc.”

On sentait confusément dans ces remarques désabusées et pertinentes le besoin ardent de sortir du labyrinthe des escarmouches platoniques et inopérantes des luttes politiques. La recherche d’une issue susceptible de répondre à ce besoin se lisait sur tous les visages et émergeait de la moindre discussion avec l’homme de la rue, pour ne pas parler du militant plus impatient. Toutefois, une parenthèse mérite d’être ouverte, à ce point de nôtre développement, en vue d’éviter toute interprétation tendancieuse qu’on serait tenté de tirer de ces constatations. À signaler dans cet esprit que, mis à part son côté négatif et quelquefois pénible, la lutte politique dont il vient d’être question n’a pas été complètement inutile, en ce sens qu’elle a renforcé, dans une grande mesure, la prise de conscience populaire et a surtout aidé à la promotion d’un bon nombre de cadres.

Autre remarque : la déconfiture de ces partis politiques, avant d’être le fait de tel ou de tel homme, ou groupe d’hommes, est, en dernière analyse, le résultat de tout un ensemble de causes dont les principales reviennent à une méconnaissance ou, pour le moins, une incapacité de s’inspirer du peuple, aux oppositions entre les hommes élevées au-dessus des idées et des principes, et en dernier lieu au vieillissement très rapide, inhérent spécialement aux partis politiques des pays jeunes, trop vigoureux et pleins de bouillonnement révolutionnaire pour s’accommoder facilement de tout ce qui est immobilisme.

En résumé, l’année 1950, si elle ne mit pas totalement fin aux luttes politiques, n’en marqua pas moins leur dépassement et leur faiblesse manifeste face à une politique répressive de l’administration coloniale. Cette dernière, après la répression de 1948, à l’occasion des fameuses élections à l’Assemblée algérienne où les truquages et les falsifications les plus éhontés furent enregistrés, après ce qui fut appelé le “complot” de 1950 et qui était en réalité la destruction partielle de l’organisation paramilitaire formée sous l’égide du PPA-MTLD, s’était enhardie, devant le manque de réaction, au point de ne plus tenir compte de sa propre légalité pour accentuer son travail de dislocation des appareils politiques. Cela était tellement vrai que, pendant ces temps sombres, on avait assisté aux premiers rapprochements de ces mêmes partis politiques, hier ennemis ; d’où la naissance du Front démocratique réalisée par le MTLD, l’UDMA, les Oulémas et le PCA pour lutter conjointement contre la répression. L’explication la plus valable à donner à ce phénomène, impossible deux ans auparavant, est sans doute la manifestation de l’instinct de conservation par la recherche obscure d’un renouveau souffle dans une union même limitée.

Rien ne se fit pour sauver les uns et les autres

La marche inexorable de l’évolution ne tarda pas à accélérer le processus de désagrégation déjà entamé.

Je ne connais pas avec certitude ce qui se passait en ce temps à l’intérieur de l’UDMA, des Oulémas et du PCA, mais je reste convaincu que leur situation n’était pas plus brillante ni plus enviable que ce qui se préparait dans le MTLD, en voie de dislocation malgré tous les efforts tentés pour éviter la fin malheureuse et définitive qui fut la sienne en 1950.

Que nous fût-il donné de retenir de cette première partie ? La faillite des partis politiques, complètement déphasés par rapport au peuple dont ils n’ont pas su ou pu s’inspirer à temps pour saisir sa réalité et comprendre ses aspirations profondes. Il faut noter, à cette occasion, que notre peuple, à l’instar de tous les peuples qui montent, possède une bonne mémoire et une acuité instructive de ce qui se fait dans son intérêt. S’il lui est arrivé de se désintéresser, à un certain moment, de presque tous les partis politiques qui se disputaient ses faveurs, cela revenait avant tout à ce sens infaillible de l’histoire et à cette sensibilité forgée dans les dures épreuves dont les évènements de Mai 1945 ont été une des plus marquantes.

Compte tenu de cette défection populaire vis-à-vis des partis, comment se présentait alors l’éventail des forces profondément remaniées par cette sorte de reflux ? Mis à part, les directions politiques moribondes s’accrochant vainement à leurs appareils organiques, fortement éprouvés et réticents, il faut signaler : à la base, le peuple d’où s’effaçaient progressivement les oppositions politiques et qui semblait dans son recul préparer le grand saut et, dans une position intermédiaire, le volume des militants abusés, quelquefois aigris mais restant vigilants parce que plus au fait des réalités quotidiennes et du mécontentement des masses accablées qu’elles étaient par une exploitation de plus en plus pesante.

C’est d’ailleurs de cet échelon que partit en 1954 la première étincelle qui a mis le feu à la poudrière. La question qui vient immédiatement à l’esprit consiste, à mon sens, à déterminer exactement comment a pu s’opérer cette sorte de reconversion rapide et cette prise de responsabilité étonnante à un moment où les plus avertis s’attendaient à toute autre chose qu’à un départ aussi décisif d’une révolution qui bouleversera tous les pronostics de ses sympathisants comme de ses adversaires. La réponse est qu’en novembre 1954, toutes les conditions, malgré la confusion de façade qui régnait alors, étaient réunies, concrétisées en deux forces aussi décidées l’une que l’autre : d’une part, un peuple disponible, ayant gardé intact son énorme potentiel révolutionnaire légendaire instruit par ce qu’il a subi durant une longue occupation et plus récemment à l’occasion du 8 mai 1945, exacerbé par ce qui se passait à ses frontières et n’ayant enfin plus confiance dans tout ce qui n’est pas lutte directe de la force à opposer à la force et, d’autre part, une avant-garde militante, issue de ce peuple dont elle partageait les expériences quotidiennes, les peines et les déboires pour se tromper, le peu qu’il soit, sur cette force colossale dans sa détermination d’en finir avec une domination qui a fait son temps.

C’est de cette conjonction intime que naquit la Révolution algérienne qui, dans un temps restreint, de juin à novembre 1954, aligna sur tout le territoire les têtes de pont du bouleversement que nous vivons depuis bientôt sept ans.

En conclusion, que faut-il retenir de toute cette suite d’évènements et particulièrement de ce commencement qui, vu son caractère spécial, marquera pour longtemps la Révolution algérienne et explique déjà ses principales caractéristiques originales ?

1- À la différence d’autres révolutions, la nôtre est née à un moment crucial qui lui confèrera son caractère particulier d’autonomie et son indépendance vis-à-vis de toutes les tendances politiques l’ayant précédée : le premier appel au peuple algérien a bien précisé que le FLN, dès sa naissance, se dégageait nettement de tous les partis politiques, auxquels il faisait en même temps appel pour rejoindre ses rangs sans condition ni préalable d’aucune nature. Cette position en clair signifie que le 1er Novembre ouvrait une ère nouvelle d’union nationale et condamnait implicitement toutes les divisions et oppositions partisanes incompatibles avec la révolution naissante, comme elles le seront plus tard quand il s’agira de construire l’Algérie nouvelle.
De cette position de principe, il faut retenir également le souci des premiers hommes de la révolution d’introduire un autre esprit, d’autres méthodes et surtout une conception neuve tant en ce qui concerne les idées que l’organisation ou les hommes.

2- Née du peuple, la Révolution algérienne, à son départ, s’inscrit en faux contre toutes les manoeuvres de tendances ou concepts d’exportation quels qu’ils soient, plaçant la lutte sous le signe de l’union du peuple algérien en guerre, union solidement soudée par des siècles d’histoire, de civilisation, de souffrances et d’espoir.

3- Issue d’une période où les luttes des coteries et des personnes avaient failli tout emporter dans leur obstination aveugle et criminelle, la Révolution du 1er Novembre décréta le principe de la collégialité, condamnant à jamais le culte de la personnalité, générateur de discorde et nuisible, quelle qu’en soit la forme, à l’avenir d’un jeune peuple qui a besoin de tous ses hommes, de toutes ses ressources et d’une politique claire et franchement engagée qui ne peut être l’affaire d’un homme, aussi prestigieux soit-il, mais de toute une équipe d’hommes décidés, vigoureusement articulés en une organisation bien définie, disposés à donner le meilleur d’eux-mêmes avant de se faire prévaloir de tout titre, de toute légitimité et encore moins de droits acquis ou de prééminence de tout genre.
En un mot, l’Algérie, après ce qu’elle a enduré, a besoin de militants intègres, désintéressés opiniâtres et décidés, véritables pionniers au service d’un idéal de justice et de liberté, que de “zaïms” en mal de gloriole, cette gangrène purulente de beaucoup de jeunes pays en voie d’émancipation.

4- Partie intégrante et motrice de la formidable vague de fond qui secoue l’Afrique et l’Asie et continue de se propager en Amérique du Sud et partout ou persistent les germes de la domination politique ou économique, la Révolution algérienne, dès son début, s’est classée par rapport aux lignes de force de l’échiquier mondial.
Nos alliés naturels sont avant tout ceux-là mêmes qui, comme nous, ont eu à souffrir des mêmes maux et qui rencontrent sur la voie de leur libération les mêmes oppositions, les mêmes barrières, voire les mêmes menaces.

5- Enfin, son caractère populaire et patriotique, sa coloration anticolonialiste, son orientation démocratique et sociale, sa position dans le Maghreb et son appartenance à la sphère de civilisation arabo-islamique sont autant de traits marquants que porte la Révolution algérienne dès sa naissance et qui détermineront son évolution et conditionneront son devenir.

Mohamed Boudiaf

Turquant, le 22 août 1961

Rédaction

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5 Commentaires

    • @ wendy

      Oui effectivement on risque de ne plus comprendre si on ne connait pas les frustrations, les rancunes et les ressentiments produits par un système inculte et répressif.

      Ali Benhadj n’arrive pas à se libérer de la position victimaire ni à se libérer de l’émotionnel, ni de l’esprit partisan. Il ne tire pas leçon des données géopolitiques, ni des manipulations, ni des contextes.

      Dommage pour lui. Il habite une maison de verre et il donne des pierres à ses ennemis.

      Boudiaf est une victime. Il n’est pas un apostat, ni un traitre à l’Algérie. Ali Benhadj affiche ses limites et ne se corrige pas de sa parole intempestive. Il ne représente pas la voix de l’Islam. Il représente son opinion et celle de son courant.

      Je ne représente pas l’Islam. L’Islam nous appartient tous même si chacun de nous le lit et le pratique non comme il se doit mais comme un produit social et historique d’une situation qui ne produit que des contradictions et des confusions.

      J’ai pris depuis longtemps la décision de me situer sur le plan des idées, ne sacralisant personne et ne jetant l’anathème sur personne.

      • Les camps du sud, l’arrestation de Hachani et tous les membre dits modérés de la mouvance islamiste, dissolution des APC et du FIS, refus de dialoguer avec les trois fronts gagnants des élections, lancement avec un coup de force d’un nouveau parti en utilisant l’administration et les moyens de l’état, création d’un pseudo parlement « CNT » regroupant les opportunistes de tout bord…
        voila ce que je ne comprend pas venant d’un tayeb el watani, car un authentique patriote n’aurait jamais cautionné tout ça ,j’espère que la rumeur de sa fuite après trois ou quatre mois est vraie.

  1. @ Wendy

    il faut que les gens participent au débat sinon je ferais du monologue. Par ailleurs le but de l’article n’est pas 92 mais avant 54.

    Ils ne parviennent toujours pas à faire la différence entre un homme et ses idées, entre un homme et l’événement historique, entre ce qu’on a fait au nom de cet homme qui est resté absent de l’Algérie et qui a mis fin à son parti, depuis 1980 quand il a vu le peuple algérien pleuré Boumédiene et ce qui a été fait à cet homme assassiné de la manière la plus barbare. Cet assassinat ne cache pas les malheurs du FIS mais montre que ce sont les mêmes qui ont tout orchestré et qui ont manipulé tout le monde.

    Analysons l’histoire et le parcours d’un homme pour comprendre le présent. Ne restons pas prisonniers de nos blessures et d’un moment précis.

    Boudiaf n’est pas un Prophète tout comme Ali Belhadj. Chacun a ses erreurs mais aussi son côté humain et merveilleux. Arrêtons, au nom d’Allah, ces lectures manichéennes et posons la question du drame de l’Algérie dans sa genèse et ses contradictions complexes. Ne cherchons pas de bouc émissaires.

  2. « qui a mis fin à son parti, depuis 1980 quand il a vu le peuple algérien pleuré Boumédiene »

    Cette prise de position politique que tout le monde qualifie d’exceptionnelle me fait déduire une des conclusions suivantes:

    – Le parti créé en 1963, était juste contre Boumediene, ce dernier décédé, on pardonne le défunt et on ferme le parti.
    – Le parti a été créé en 1963 parceque le peuple n’aimait pas Boumediene,
    puisque le peuple l’a pleuré a sa mort donc il a fini par l’aimer, d’où le parti n’avait plus raison d’exister.
    – Un peuple qui a pleuré un homme comme Boumediene ne mérite pas de militer pour son épanouissement.
    – Le peuple qui a pleuré Boumediene est au sommet de l’épanouissement alors c’est plus la peine de faire de la politique.
    – Boumediene décédé, le peuple le pleure, on comprend plus rien a la politique algerienne, on ferme le parti et on s’éclipse pour ne plus revenir,

    Cette dernière me parait la plus plausible, l’homme revient un peu plus tard a cette chekchouka, de son plein grès, pour ce même peuple, plus ignorant et peut-être moins naïf, et il prend une balle dans le tête!!

    Pardonnez moi, j’ai toujours jugé les faits avant les paroles et les écrits.

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