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jeudi 28 mars, 2024

Boudiaf – Algérie : Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux

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« Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux ». J.P. Sartre
 
Mohamed BoudiafIl y a vingt ans, le 16 janvier 1992, la jeunesse algérienne découvrait Mohamed Boudiaf. Elle venait de le découvrir parce que l’adjudant et le colonel qui ont successivement présidé aux destinées de l’Algérie, dès l’indépendance confisquée en 1962, ont tout fait pour que le nom de Boudiaf ne soit jamais connu, ni à l’école sinistrée, ni à l’unique télévision du système, ni dans la presse, limitée alors à deux titres.
 
Ainsi, dès 1962, le système qui avait pris la précaution d’assassiner d’abord Abane Ramdane en 1957, a déployé alors son jeu dans l’objectif de faire de l’Algérien un borné, un barbare et un fanatique:
 
1- Borné, en lui inculquant le « principe » que sa culture est seulement arabo musulmane. L’Algérien est ainsi amputé de sa dimension culturelle berbère naturelle. Mais Boudiaf, dès son retour, est alors le premier Chef d’Etat algérien, à rappeler officiellement que la personnalité de l’Algérien tient de l’Amazighité, l’Islamité et l’Arabité.
 
2- Barbare. Dans la société la plus barbare, il arrive qu’on abatte un arbre pour cueillir ses fruits. Mais, dans l’Algérie indépendante, c’est Boudiaf qui a été abattu parce qu’il a refusé qu’on abatte l’arbre Algérie pour cueillir ses fruits. Il le paye de sa vie parce qu’il a martelé la mafia politico-financière par son slogan, « l’Algérie avant tout ».
 
3- Fanatique. Voltaire a parfaitement raison de dire que « celui qui soutient sa folie par le meurtre est fanatique». Est-ce la folie qui s’est emparée alors du système pour lâchement assassiner Boudiaf, maquiller son assassinat en « acte isolé » et soutenir sa folie par le meurtre. Le système devient alors le pire des fanatiques.
Devant cette ambiance de trahison généralisée par le silence, cette pensée de J.P. Sartre : « Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux », me conforte dans mon combat d’interpeller toutes les consciences et particulièrement Messieurs Ali Haroun, Ahmed Djebar et Khaled Nezzar. Ces trois personnalités ont été très proches de Boudiaf pendant sa mission à la tête de l’Etat. Ils ont joué un rôle fondamental dans son retour en Algérie. De par la position qu’occupait chacun de ces Messieurs, au moment de « l’acte isolé », soit ils étaient en position de connaître ses bourreaux, soit en position de ne pas les connaître. S’ils ne les connaissent pas, de qui ont-ils peur de demander la réouverture du dossier et de l’enquête. S’ils se taisent et donc connaissent les bourreaux, alors ils deviennent eux-mêmes bourreaux, et donc pas respectables.
 
Messieurs Haroun, Djebar et Nezzar, il y a un adage qui veut tout simplement dire que devant une situation complexe, «on est partie du problème, ou partie de la solution». L’assassinat de Boudiaf est un sérieux problème. Boudiaf était-il aussi fort physiquement pour nécessiter toute une rafale alors qu’eu égard à son âge et sa santé précaire, une seule balle lui aurait suffi. C’est là où se situe le problème, votre problème. Car en fait, une seule balle était destinée au Président du Haut Comité d’Etat qui commençait à déranger le système. Alors tout le reste des balles du chargeur, voire des chargeurs, n’était pas destiné à la victime de « l’acte isolé » mais à toute personne qui s’imaginait facile de toucher là où Boudiaf a mis le doigt et a commencé à faire mal au système. J’aurais voulu que le Ministre de l’intérieur de l’époque, feu Larbi Belkheir et d’autres responsables de la Sécurité de l’Etat, qui ne sont plus de ce monde, soient aujourd’hui à vos cotés pour répondre à cet adage. Mais ils sont là où aucune pétition ne peut les sauver, ni les soustraire à la justice divine. Avec la justice divine, il n’y a ni faux procès ni « acte isolé ».
 
Je vous laisse, cependant, toute la latitude de répondre publiquement à cet adage, à cette manière de présenter le mal qui ne cesse de me torturer depuis que j’ai compté le nombre de balle dans le crâne, le dos et même le thorax de mon père.
 
Soit ! Boudiaf est mort. L’arbre de novembre a été abattu en juin, mois de sa naissance. Le peuple algérien a été empêché de goûter aux fruits que Boudiaf lui préparait depuis 1947. Mais en mai prochain, en plein printemps, l’Algérien est appelé à choisir de nouveaux représentants à l’Assemblée Nationale. Le système est perplexe et sclérosé. Soit il laisse les choses se passer normalement et alors là le printemps va bourgeonner de fruits qui ne seront pas du goût du système, quelque soit le goût de ces fruits. Soit, il arrêtera une nouvelle fois le cycle de bourgeonnement et là, l’Algérie manquera pour la énième fois son rendez-vous avec le printemps. Le printemps berbère a été cruellement étouffé dans le sang, comme l’a été Boudiaf. Qu’en sera-t-il du printemps algérien ? Qu’en sera-t-il du système qui n’a plus de Boudiaf à aller tirer de son exil ?
 
La vérité sur « l’acte isolé » ne me rendra pas mon père, ne rendra pas le Président du Haut Comité d’Etat à l’Etat. Mais incontestablement, la vérité rendra un peu d’espoir ; espoir au futur Chef de l’Etat de ne pas finir comme a fini l’homme de Novembre ; espoir aux jeunes soldats de ne pas avoir, dans l’avenir, à recevoir des ordres d’exécuter un homme honnête comme Boudiaf alors que les criminels courent les rues ; espoir enfin à tout le peuple que l’impunité a une fin, comme toute chose dans la vie.
 
Par ailleurs, on a été informé, il y a quelques jours de la nomination de M. Abdelmalek Sayah, à la tête de l’Office de la lutte contre la corruption. L’intéressé n’est autre que le procureur général du procès qui pense avoir sauvé le système en qualifiant l’assassinat de Boudiaf d’ « acte isolé ». Le peuple est alors édifié. Toutes les affaires de corruption dont il a entendu parler seront qualifiées « d’actes isolés ». C’est dire que le printemps de la lutte contre la corruption n’a pas encore entamé la saison de commencer à bourgeonner.
En ce qui me concerne, le dernier mot prononcé par mon père a été « l’Islam ». Pour les croyants, les vrais, c’est là un signe de bon augure annonçant que Boudiaf est parmi les Chouhadas au Paradis. Quel sera le dernier mot prononcé par les hommes du système ? A eux de le dire au peuple. Pour moi : c’est le mot : VERITE.
 
Nacer Boudiaf.
 

Rédaction

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2 Commentaires

  1. Oui ce fut un grand homme. Allah a choisi pour lui la même fin que ses frères de lutte. Il a été instrumentalisé, à son insu, pour couvrir la répression. Les victimes doivent dépasser leur douleur et l’emotionnel de la situation pour voir la manipulation et le plan machiavélique qui a été mis en place et qui dépasse le niveau médiocre des éxécutants algériens :

    liquider un homme qui porte l’étendard de novembre 54
    liquider un parti qui porte la contestation populaire
    liquider réformes qui porte un projet d’Islah
    liquider le lien symbolique et populaire entre l’ALN et l’ANP
    liquider le potentiel de grandeur et de développement de l’Algérie

    Ce sont de grandes liquidations, elles exigent de grands scénaristes, de grands concepteurs, de grands réalisateurs et hélas de grands idiots face à eux.

    Je venais de me réveiller d’une ablation du poumon et j’ai demandé les nouvelles de notre pays. On m’avait informé que Mohamed Boudiaf était en visite à Annaba. Par prémonition j’ai demandé qui l’accompagnait. Sachant qu’il était seul, j’ai dit à l’infirmière : Il ne reviendra pas vivant. Quelques heures plus tard c’est la tragédie. J’ai toujours mal au thorax et à chaque fois que la douleur surgit le souvenir est là. Je descends d’une famille qui a donné de nombreux martyrs et de nombreux déportés. L’ennemi était le colonialisme et on s’habitue à la souffrance et à la résistance. On a du mal à tolerer que le mal soit min jildatina wa min lissanina.

    Mes amitiés Nacer. Si les hommes ont oublié il y a Allah Al Hay qui ne connait ni somnolence, ni oubli ni distraction ni injustice.

  2. Il n’est pas juste a mon avis de parler d’un grand homme comme Boudiaf ou ce qu’il était avant de s’accoquiner avec les serviteurs de la France est de ne citer que ses qualités.
    Pourquoi ne pas dire aussi que ce sont ses erreurs ou le faible qu’il a toujours eu pour le pouvoir durant toute sa vie qui l’ont tué.il faut suivre son parcours pendant la révolution et ne pas oublier son refus d’accepter les décisions du congrès de la soummam et le rôle qui lui a été attribué par ce congrès ; et il a tenté réunir un congrès a l’étranger avec Ben Bella sans succès.
    Il ne faut pas être partial, Boudiaf avait tout notre respect et il n’aurait pas du couvrir les dépassement dans un discours tenu le 15 Avril devant l’observatoire des droits de l’homme et retransmis a la télé pour la consommation étrangère ou il déclara que l’algerie est un état de droit et il n’y a aucun dépassement et tous les auteurs d’un quelconque délit ou crime sera sanctionné et la justice fait son travail.Alors que pendant son discours même des avions démarraient de la base boufarik vers le sahara pour emmener des algeriens dans les camps de la honte.
    L’atteinte aux droits de l’homme doit être dénoncée quel qu’en soit le coupable même si c’est notre regretté Boudiaf.
    Il faut vivre avec ses principes et mourir pour!!!

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