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Alger
lundi 18 mars, 2024

Soyons circonspects, par Omar MAZRI

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أَيُّهَا ٱلَّذِينَ آمَنُوۤاْ إِن جَآءَكُمْ فَاسِقٌ بِنَبَإٍ فَتَبَيَّنُوۤاْ أَن تُصِيبُواْ قَوْمًا بِجَهَالَةٍ فَتُصْبِحُواْ عَلَىٰ مَا فَعَلْتُمْ نَادِمِينَ

{O vous qui êtes devenus croyants, si un perverti vous apporte une nouvelle, soyez circonspects pour que vous ne portiez point atteinte à des gens par ignorance, et que vous ne  regrettiez d’avoir agi ainsi.} Al Hujurate 6

 

A – La charte universelle

Cette Ayat s’inscrit dans la charte morale, intellectuelle et sociale du Croyant que la sourate al Hujurate énonce :

 1 – O vous qui êtes devenus croyants, ne devancez pas Allah et Son Messager dans le jugement. Prenez-garde à  Allah…

2 – O vous qui êtes devenus croyants, n’élevez pas vos voix au-dessus de la voix du Prophète, et ne faites pas retentir la voix en lui parlant…

3 –  O vous qui êtes devenus croyants, si un perverti vous apporte une nouvelle, soyez circonspects…

4 – O vous qui êtes devenus croyants, qu’il n’y ait pas un groupe d’hommes qui  se moque d’un autre groupe…

5 –  O vous qui êtes devenus croyants, Evitez de conjecturer sur autrui : certaines conjectures  sont des péchés. Ne vous espionnez pas ! Ne médisez pas les uns des autres…

6 – O vous qui êtes devenus croyants : Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous fassiez connaissance…

Cette charte est universelle, car elle s’adresse à toutes les géographies, toutes les époques et tous les hommes. Son appel est trop riche pour être cerné par un article ou un discours. Nous allons tenter de  mettre en exergue certains de ses aspects pour transcender l’actualité. Cette charte vient à un moment historique déterminant : les musulmans sont harcelés par des guerres incessantes que leur livrent les Arabes qui installent le doute dans le cœur des fragiles et réveillent l’ardeur des hypocrites. Ce sont ces moments les plus propices à la désertion, à la lassitude et même à l’aventurisme guerrier et revanchard. Il faut un Prophète et une révélation pour voir plus loin et plus haut et y trouver la détermination, l’espoir et la lucidité.

B – Le cadre global :

Ces appels viennent à la suite de la sourate « Al Fatah » qui annonce le triomphe des Musulmans sur leurs ennemis et de la sourate « Mohammed » qui montre que l’ouverture, la victoire, la grandeur et l’établissement de la communauté musulmane passe par l’amour et l’obéissance du Prophète. Il ne s’agit pas d’une attitude convulsive qui réagit comme un spectacle affligeant et en contradiction avec ce que Mohamed (saws) représente : « Miséricorde pour les univers ». La sourate Al Fatah dit les choses sans équivoques :

{Mohammad est le Messager d’Allah, et ceux qui sont avec lui sont durs envers les mécréants, miséricordieux entre eux. Tu les vois inclinés, prosternés, aspirant à une Munificence de la part d’Allah et un agrément. Leurs signes sont sur leurs visages, comme trace de la prosternation. Cela est leur exemple dans la Torah. Et leur exemple dans l’Évangile : comme une semence qui fit sortir ses rameaux, puis les renforce, puis les grossit, puis elle s’égalise sur ses tiges, donnant plaisir aux cultivateurs, afin qu’Il fasse exaspérer ceux qui sont devenus mécréants. Allah A Promis à ceux qui sont devenus croyants et ceux d’entre eux qui ont fait les œuvres méritoires, une absolution et une immense rémunération.} Al Fatah 29

Il ne s’agit pas de la violence de l’insenséisme des terroristes ou de l’infantilisme des intégristes, mais de la posture morale, spirituelle et intellectuelle des vertueux qui ne font aucune concession sur les valeurs, les principes et la foi dans leur rapport à Dieu, au Prophète, à leur communauté et  aux communautés humaines avec qui ils vivent en paix et en coopération pour les choses mondaines. La force triomphante de l’Islam est dans son empathie envers les créatures, dans son anagogie (élan spirituel) et dans son argumentation logique. Les apologues du crime et les aventuriers de l’anarchie ne sont pas concernés par ce discours. Ils ont leur discours qui invente un Dieu et un Prophète à leur image. Ils sont la même face que les oppresseurs et les blasphémateurs. De la même manière que l’habillage libertaire, l’habillage religieux peut servir d’autres intérêts en contradiction avec l’islam et peut manipuler des consciences, des vies et des morts.

Le Prophète (saws) n’avait pas pour mission de combattre tous les mécréants de la planète, mais de se défendre, préserver sa foi et sécuriser sa communauté en combattant en totalité c’est-à-dire avec les forces et les moyens disponibles, les agresseurs qui ont pris, en bloc soudé, les armes contre le Prophète et ses compagnons. Le Coran ne demande pas de déclarer la guerre aux peuples païens ou agnostiques, mais de résister aux Kouffars pour leur interdire la parole et le culte. Les ignorants, les esprits vengeurs et les sectaires ne peuvent confisquer le Coran et lui donner le sens de leur médiocrité, de leur soif de pouvoir ou de leur désir pour l’effusion de sang : {Combattez les Kouffars tous ensemble comme ils vous combattent en totalité et ne transgressez pas} n’est pas la même chose que « combattez tous les mécréants ».

La vocation du musulman est de témoigner :

  {O vous qui êtes devenus croyants, inclinez-vous, prosternez-vous, adorez votre Dieu et faites le bien, afin que  vous cultiviez. Et efforcez-vous  pour Allah par l’effort qui doit Lui être dû. Il vous a élus et ne vous a imposé nulle gêne en religion, la confession de votre père Abraham. C’est Lui (Allah) qui vous a nommés musulmans, par le passé et dans ceci (le Coran), afin que le Messager soit témoin auprès de vous et que vous soyez témoins auprès des hommes. Accomplissez donc la Salàt, acquittez-vous de la Zakàt, attachez-vous à Allah, Il Est votre Protecteur. Quel excellent  Protecteur et quel excellent  Secoureur.} Al Hajj 77 – 78

Pour témoigner il faut une présence vertueuse, forte et intelligente. Celui qui connait le potentiel civilisateur et libérateur de l’Islam et qui aime le triomphe du satanisme fera tout ce qui est en son pouvoir pour que la présence musulmane soit insensée, stupide, violente et inefficace. Les imposteurs et les falsificateurs de l’Islam participent à fabriquer une image caricaturale des musulmans. Celui qui refuse la vocation civilisatrice et libératrice de l’Islam refuse la vocation de témoignage du musulman.

Lorsque le salafiste se croit en devoir de dire que la visibilité de l’Islam dérange et qu’il faut montrer notre attachement au kamis, à la barbe et au jilbab, il n’exprime en réalité que son ignorance des enjeux géopolitiques et psycho politiques ainsi que sa méconnaissance de la vocation de l’Islam. Les mêmes stupidités et les mêmes raccourcis ont fait croire que le Prophète de l’Islam est un maitre tailleur, un herboriste ou un exorciseur.Le musulman modernisant courre derrière les mêmes chimères lorsqu’il imagine ses apparitions médiatiques ou ses prouesses bureaucratiques auprès du Maire, du Préfet ou du Président de je-ne-sais-quoi  une réponse adéquate à la panne intellectuelle ou une solution judicieuse qui peut faire l’impasse sur les conditions sociales, politiques et économiques. Si la stupidité des autres est un alibi pour cultiver la nôtre, il ne faut pas espérer l’éveil de la communauté musulmane avant mille ans.

La sourate Al Fatah s’inaugure par une vérité que nos esprits médiocres et simplistes ne peuvent comprendre :

{Nous t’avons ouvert une ouverture divine, évidente, afin qu’Allah t’absolve ce qui a passé de tes péchés et ce qui est à venir, qu’Il parachève sur toi Sa grâce, qu’Il te guide vers un chemin de rectitude, et te faire triompher un triomphe invincible.} Al Fatah 1.

Si nous sommes incapables de comprendre la parole de notre Créateur et par cette incompréhension nous rendons la parole du Messager (saws) un contre sens de la parole divine alors il ne faut pas s’étonner que nous soyons méprisés, humiliés, menacés. La sourate Mohamed ne nous demande pas de vénérer notre Prophète (saws) comme le faisaient les anciennes communautés, mais de comprendre le Message qui lui a été révélé, son combat et sa morale :

 {Ceux qui sont devenus  mécréants et ont rebuté de la Cause d’Allah, Il condamne leurs œuvres au fourvoiement. Et ceux qui sont devenus  croyants et ont fait les œuvres méritoires, et ont eu foi en ce qui a été révélé à Mohamed, et c’est la Vérité de la part de leur Dieu, Il expie leurs mauvaises actions et les tranquillise. Cela, car ceux qui sont devenus  mécréants ont suivi le faux, et ceux qui sont devenus  croyants ont suivi le Vrai venant de la part de leur Dieu. Ainsi Allah Fournit aux hommes leurs exemples.} Mohamed 1

C’est le rapport au faux et au vrai qui distingue le véridique de l’imposteur, le sincère de l’hypocrite, le vertueux de l’opportuniste et le croyant du mécréant. C’est ce rapport qui édifie la personnalité du musulman et lui donne la dimension de témoin sur le plan spirituel, moral, social, intellectuel, culturel, économique, politique. Il témoigne aux hommes du présent et aux générations à venir. Il étudie et prend modèle le témoignage de ceux qui l’ont précédé dans la foi.

La sourate al Hujurate dévoile le comportement hypocrites qui ont fait de l’islam un culte sans foi, une pratique sociale de conformisme sans amour pour le Prophète (saws), une bigoterie qui fait dire au Prophète ce qu’il n’a pas dit se contenant d’amalgamer quelques hadiths hors de leur contexte, de leur signification et en contradiction avec la lettre et l’esprit du Coran :

{Les bédouins disent : « Nous sommes devenus croyants ». Dis leur : « Vous n’êtes pas devenus pas croyants, mais dites : “Nous sommes devenus musulmans ”, car la foi n’est pas encore entrée en vos cœurs ». Mais si vous obéissez à Allah et à Son Messager, Il ne vous diminuera rien de vos œuvres. Certes, Allah Est Absoluteur, Miséricordieux. Les croyants sont seulement ceux qui croient en Allah et en Son Messager, et après cela ils n’ont point douté, et ont combattu avec leurs biens et par leurs personnes, pour la Cause d’Allah. Ceux-là sont les véridiques. Dis : « Allez-vous apprendre à Allah quelle est votre religion, alors qu’Allah sait ce qui est dans les Cieux et ce qui est en la Terre ? » Allah Est Tout-Scient de toute chose. Ils pensent te faire une faveur d’avoir adopté l’Islam ! Dis : « Vous ne me faites aucune faveur avec votre adoption de l’Islam. Mais c’est Allah qui vous fait une faveur en vous guidant vers la foi, si vous êtes véridiques ». Certes, Allah Sait l’Occulte des Cieux et de la terre. Et Allah Omnivoit ce que vous faites.} Al Hujurate 14 à 18

Chacun de nous est une vocation de témoignage. Témoins, nous rendrons compte, individuellement et collectivement à Dieu, de la responsabilité envers le temps de vie, l’intelligence, son émotion, la perception, l’action et l’acte. Si les élites musulmanes préfèrent discourir sur l’eschatologie au lieu du témoignage c’est parce qu’elles fuient leurs responsabilités et cachent leur incompétence. Elles ne pourront jamais cacher indéfiniment la réponse que vont se poser les jeunes générations si elles se mettent à lire le monde avec des interrogations sur leur mission et leur devenir, et si elles se mettent à lire le Coran pour le méditer, le comprendre, l’interroger. N’est-ce pas qu’Allah est Témoin ! En sa qualité de Créateur nous sommes des créatures, en sa qualité de Témoin (Chahed) nous sommes des témoins envers Lui, entre nous et auprès des autres. C’est ainsi que la fin de la sourate al Fatah se clôture pour annoncer la sourate al Hujurate :

 {C’est Lui qui a envoyé Son Messager avec la Direction infaillible et la Religion du Vrai, pour la faire manifester avec évidence, sur toutes les croyances. Il suffit d’Allah comme Témoin.} Al Fatah  28

 C  – Le contenu.

Lorsque on a compris le devoir de témoignage on comprend alors la portée et le sens de l’énoncé coranique :

  يٰأَيُّهَا ٱلَّذِينَ آمَنُوۤاْ إِن جَآءَكُمْ فَاسِقٌ بِنَبَإٍ فَتَبَيَّنُوۤاْ أَن تُصِيبُواْ قَوْمًا بِجَهَالَةٍ فَتُصْبِحُواْ عَلَىٰ مَا فَعَلْتُمْ نَادِمِينَ

{O vous qui êtes devenus croyants, si un perverti vous apporte une nouvelle, soyez circonspects pour que vous ne portiez point atteinte à des gens par ignorance, et que vous ne  regrettiez d’avoir agi ainsi.} Al Hujurate 6

a – Dans d’autres écrits j’ai montré que « ceux qui ont cru » est un passé achevé sur le plan historique et comportementale comme le désiraient les hypocrites et les orientalistes  alors que « vous êtes devenus croyants » est plus conforme à la signification coranique. La foi n’est pas achevée, elle continue dans l’histoire pour façonner les esprits, les mentalités et les sociétés humaines. La foi est un mouvement vers l’absolu, elle ne peut être ni achevée ni finie ni accomplie. Comme l’amour elle est sa propre mesure, incommensurable. Elle n’est pas un état acquis par héritage, mais une conviction qui se forge, qui évolue et se transforme. Elle est un devenir non seulement parce qu’elle est réversible et dynamique, mais surtout parce qu’elle est actancielle modifiant l’être ontologique et sociale changeant son vouloir, son devoir, son pouvoir, son savoir, son croire, sa vertu et son faire.

b – Par la foi, le sens de témoignage s’inscrit dans la transcendance. On témoigne pas seulement pour bien vivre, pour avoir bonne conscience, par convenance sociale, pour laisser sa trace dans l’histoire à travers un monument, une œuvre, une idée ou un fait, mais pour gagner le double salut, le salut dans l’au-delà pour une vie éternelle et heureuse ainsi que le salut ici-bas pour jouir de la liberté, de la prospérité, de la dignité, de la santé, de la sécurité, de la paix,  de l’intelligence, de la beauté, de la bénédiction divine… en partageant, en offrant son talent, en faisant valoir ses compétences et ses différences.

c – Le témoignage et le devenir de la foi et de la vertu qui l’accompagne ne peuvent se faire dans l’anarchie ou se comprendre comme du romantisme sans vie d’épreuves et de lutte. L’existence est une épreuve pour tous les hommes, elle est plus éprouvante pour les hommes de foi. La communauté appelée à jouer sa vocation de témoin,  à accomplir son destin de « pôle de rayonnement : Oumma wassata  et à disposer des attributs de grandeur « khayra oumma » qui rendent son tamkine (établissement sur terre) possible et durable doit nécessairement construire sa résistance intellectuelle et comportementale pour ne pas être emportée par les luttes idéologiques et les machinations médiatiques et politiques de ses ennemis.

Une communauté appelée à représenter l’Islam, à le défendre et à le diffuser doit donc se démarquer du Fassiq. Le Fassiq est l’individu ou le groupe de personnes qui détourne intentionnellement quelque chose de sa vraie nature ou de son vrai sens. C’est donc le mal intentionné, l’incitateur au mal, le corrompu, le débauché, le dépravé, le dévoyé, le perverti, le pervers qui agit avec l’intention de nuire en diffusant de fausses nouvelles, ou qui agit pour le compte d’autrui en colportant leurs mensonges, leurs menaces et leurs intimidations pour effrayer, pousser à un comportement ou à une action…

La conscience d’être témoin exige de traiter l’information, le renseignement, l’observation, l’intention, le comportement ou l’action à destination de la communauté avec circonspection. Le bayane et le tibyane sont le procédé de mise en évidence de la vérité. Le bayane  (Nom donné au Coran) est la manifestation endogène de la vérité qui s’impose par elle-même par sa propre nature à être évidente quelle que soit la volonté des hommes à la nier ou à l’oublier. Le Coran se nomme aussi le Forqane pour se définir comme le Critère par excellence et par lequel le questeur de vérité distingue le vrai du faux. Le Coran n’est pas seulement l’affirmation de la foi, mais une construction de la personnalité et de la pensée pour faire face aux faux syllogismes et au doute. Le tibyane est l’effort exogène pour que la vérité se cristallise (hasshassa al Haq comme cité dans la sourate Youssef) que chacun accomplit ou se doit d’accomplir pour découvrir la vérité ainsi que l’effort d’enlever tous les obstacles qui se dressent contre la vérité et les écrans qui l’occultent. Le premier acte de foi après la reconnaissance du Dieu unique Créateur, est un acte de témoignage compris comme un devoir de justice, un devoir de vérité envers soi et envers les autres.

La communauté appelée à jouer sa vocation de justice par le témoignage se doit d’être circonspecte. La circonspection, du latin circumspectio « action de regarder autour, inspecter ses alentours… »  consiste à se prononcer sur la fiabilité d’une information ou d’un fait. Aucun projet, aucune étude, aucune science ne se fait sans cette démarche de retenue prudente que l’on doit observer dans ses intentions, ses paroles et ses actions en les pesant et en les combinant pour leur donner justesse, fiabilité, crédibilité, viabilité, pertinence (adéquation avec l’espace) , opportunité (adéquation avec le temps), et cohérence. L’islam n’est pas la religion des charlatans, des improvisateurs, des dissimulateurs et des insensés. Il n’est pas aussi la religion des comploteurs et des terroristes. Il est la religion de la vigilance de l’esprit et de la responsabilité. L’islam refuse de porter du tort et des préjudices tant aux siens qu’aux autres qui restent siens dans le sens où ils sont les destinataires de son message.  Le Prophète (saws) n’affichait pas l’arrogance des parvenus de la foi de notre temps qui se croient les incarnations de la vérité et de la pureté, mais témoignait de l’amour pour l’humain et souffrait de voir le mécréant dans sa perdition. Il souffrait pour les autres par compassion et ne souffrait pas des autres pour leur manque d’égard envers lui :

{Vas-tu alors te tuer de chagrin, de leur comportement, s’ils ne croient pas en ce discours ? Nous, Nous Avons Fait ce qu’il y a sur la terre pour l’embellir afin de les éprouver : lequel d’entre eux agit au mieux.} Al Kahf 6

La compassion du Prophète (saws) ne lui interdisait pas d’être un pédagogue qui différencie son discours et son style. Elle ne lui interdisait pas de préparer sa communauté à réfléchir et agir avec vigilance, clairvoyance, lucidité, discernement et circonspection. L’Islam est la religion d’Allah, ce n’est pas une affaire personnelle qui permet à chacun de l’imaginer comme il veut ou de la défendre comme il veut par les moyens qu’il veut. L’Islam a discipliné les Arabes, les Perses puis les Mongols et les Tartares lorsqu’il était représenté par des croyants refusant l’anarchie et la paresse. Lorsque les musulmans n’ont plus de projet de civilisation et de conscience de témoignage, ils parviennent à perdre la vigilance au profit de l’arrogance, le savoir au profit de l’ignorance.

Le Coran ne se limite pas à souligner le devoir de vigilance et de circonspection en toute chose, il donne l’explication du manquement à ce devoir : l’ignorance. Il aurait pu dire inadvertance, oubli, erreur ou faute, mais il cible l’ignorance. Quel est le mystère ?

La pédagogie coranique met l’accent sur l’ignorance pour nous dire deux choses. La première est que notre défaut d’attention (dans notre vigilance) et notre manque d’application (dans notre devoir envers les autres ou dans ce que l’on fait) peut porter du tort aux autres qui peuvent ne pas savoir que nous agissons par insouciance et cela est grave car les conséquences peuvent être dramatiques pour tous. La seconde chose est qu’agir d’une manière inconsidérée, penser d’une manière insensée, traiter l’information d’une manière superflue et non fiable relève de la pire des fautes qui est l’ignorance des devoirs et des règles de l’art imputables au métier que l’on exerce, à la fonction que l’on occupe et à la charge dont nous sommes investis. Moralement c’est une trahison, politiquement c’est une faillite. La jahiliya, l’obscurantisme, et le Jahl, l’insouciance,  sont des tares incompatibles avec la lumière de l’Islam et les enseignements du Prophète, car ils font rétrograder la communauté non seulement à un niveau inférieur de celui de l’islamité, mais inférieur à celui de l’humanité. C’est l’insouciance des Arabes avant l’Islam qui a façonné leur inconsistance et leur insenséisme. L’ignorance au sens coranique n’est pas l’absence de savoir, mais l’acquisition et la promotion de faux savoirs, de fausses représentations sur la réalité. Cette ignorance ne sied pas à l’être humain :

{… ils ont des cœurs avec lesquels ils ne comprennent pas, ils ont des yeux avec lesquels ils ne voient pas, et ils ont des oreilles avec lesquelles ils n’entendent pas. Ceux-là sont comme le bétail, ils sont même plus fourvoyés. Ceux-là sont les inattentifs.} Al Aâraf 179

{Certes, les pires des bêtes, pour Allah, sont les sourds, les muets, qui ne raisonnent point.} Al Anfal 22

L’insouciance, l’indifférence, est une atteinte à l’intelligence, une sape contre le devoir de témoigner. Lorsqu’une communauté est insouciante, elle devient insensible à la voix de la raison lui préférant les discours qui anesthésient sa responsabilité et cultivent sa paresse. Le Coran n’a pas blâmé les poètes, car ils faisaient des vers, mais parce qu’ ils produisaient des paroles fascinantes pour détourner les hommes de la vérité et les aliéner à leurs désirs immédiats et futiles. Voilà plus de cinq siècles que le monde produit en excès ses poètes bonimenteurs  :

{Est-ce que je vous annonce sur qui les démons descendent ? ils descendent sur chaque forgeur de mensonges, grand-pécheur. Ils prêtent l’oreille, mais la plupart d’entre eux sont des menteurs. Et les poètes sont suivis par les égarés.} As Chouâra 222

Bien entendu, les charlatans ont fait croire que la poésie et les arts c’est haram pour conserver le monopole de l’envoûtement des peuples musulmans déjà abrutis par la sédimentation de l’oppression et de l’ignorance.

Dans cet ordre d’idées, non seulement il y a mise en garde contre l’insouciance  ou le cas échéant blâme contre les insouciants, mais il y a annonce d’un châtiment durable :

{…et que vous ne  regrettiez d’avoir agi ainsi.} Al Hujurate 6

L’expression arabe coranique utilise le futur pour désigner une action qui dure et qui se répète inlassablement signifiant par-là que les conséquences sont graves par leur dimension sociale, religieuse et politique ou militaire, mais par leur portée dans le temps et la géographie. Une communauté dont les élites manquent de circonspection et de sens des responsabilités historiques finit par subir son insenséisme et sa précipitation. L’Algérie, à titre d’exemple a subit la bleuite, la peur de l’infiltration française dans les rangs de l’ALN et du FLN qu’elle a sacrifié un grand nombre d’intellectuels dans ses maquis et ses réseaux de résistance. C’est ce sacrifice inhumain et inutile qui a décimé la révolution algérienne et a permis aux incompétents de prendre en otage la libération. C’est la même incompétence qui a permis à la décennie noire de vider l’Algérie de ses cadres et de ses ressources. Partout, on assiste au même phénomène qui dure et perdure.

Le Coran nous dit que l’insouciance n’est pas une tare spontanée, elle est structurelle et de ce fait elle est récurrente. Les grandes catastrophes dans le monde musulman sont récurrentes et relèvent de l’insouciance. Les musulmans fabriquent leurs propres malheurs et de la même manière récurrente ils en imputent la responsabilité à autrui. La spirale de l’humiliation ne prend pas fin en désignant un responsable, mais en faisant l’effort de lucidité pour voir le devenir que nous avons mis en panne et que nous continuons de saboter. Encore une fois, les autres ne sont que les amplificateurs de nos malheurs et les réducteurs de nos possibilités. Ils ne peuvent être tenus pour les uniques et principaux agents de notre décadence.

{Certes, Allah ne Modifie rien en un peuple jusqu’à ce qu’ils changent ce qui est en eux-mêmes. Et si Allah veut quelque mal à un peuple, rien ne peut le repousser et ils n’ont, à l’exclusion de Lui, aucun protecteur.} Ar Raâd 11

d ) Le Coran utilise le terme nàdimine (pluriel de nàdim) qu’on traduit abusivement par avoir le remord ou le regret alors que le terme désigne aussi la persistance coutumière qui devient rituelle et dogmatique, la démarche mécaniste qui refait inlassablement les mêmes gestes, prononce les mêmes paroles et obéit aux mêmes injonctions sans leur opposer résistance ni leur apporter un changement. Le nadim, dans la poésie arabe, est l’échanson c’est à dire celui qui avait la charge de présenter rituellement la coupe royale dans les cérémonies officielles et de goûter aux boissons pour éviter que le roi ou la reine ne soit empoisonné. C’est aussi le serviteur assidu servant du vin dans les banquets.

La conclusion de l’insouciance ne serait pas seulement le regret « et que vous ne  regrettiez ce que vous avez fait. » mais l’émergence d’une culture et d’une mentalité structurelle enracinées dans la confusion et l’insenséisme par manque d’esprit vigilant, par servilité et par manque d’enseignement des expériences. C’est l’un des pires châtiments qui puisse arriver à une communauté ou à une nation dans cette existence.

{… et que vous ne  persistiez  dans ce ce que vous avez fait.} Al Hujurate 6.

Lorsque le musulman fait de l’attachement aux apparences son credo au lieu de faire de la vérité sa quête il se prive des moyens de sa libération et de son émancipation. Lorsque le musulman n’utilise pas son intelligence et sa compétence de raisonner il devient otage du  mimétisme servile, de la casuistique religieuse et de la reproduction des mêmes schémas mentaux et des mêmes fausses représentations que rien ne vient corriger ni redresser. C’est ainsi qu’il faudrait sans doute traduire les conséquences du manquement à l’appel divin à faire usage de son humanité et de son islamité comme il convient :

{… et que vous ne  persistiez  dans ce ce que vous avez fait.} Al Hujurate 6.

  D – Quelques dangers et impasses de fausse lecture immédiate :

  • La première impasse est de croire que la communauté juive est la communauté ennemie des musulmans. Les Juifs ont été persécutés par les européens et dans ce contentieux historique nous n’avons ni part de responsabilité ni culpabilité. Nous compatissons à leurs souffrances et aux souffrances de tous les persécutés et de tous les opprimés. Nous refusons que ces souffrances soient instrumentalisées pour des exacerbations sociales, politiques, idéologiques et religieuses.  Nous refusons que la souffrance soit le monopole des uns contre les autres. Le Prophète de l’Islam, Mohamed (saws), avait eu un contentieux historique et politique avec les Juifs de Médine qui ont pris l’initiative de le persécuter en faisant alliance avec les Arabes païens. Le Coran et la Sunna du Prophète sont sans ambiguïté sur ce sujet.
  • La seconde impasse est d’identifier la communauté juive à Israël ou au sionisme et de ne pas tenir compte des faits et des idées qui ont façonné les hommes et les territoires. La question palestinienne n’est pas un conflit religieux ou ethnique. Si les « représentants » de la communauté juive disent le contraire il ne faut pas s’en offenser, les représentants officiels et officieux ainsi que les impostateurs des communautés musulmanes disent eux aussi des choses insensées et inacceptables.
  • La troisième impasse est de croire que toute la communauté laïque est islamophobe. La laïcité et son intégrisme laïciste doivent être revus dans leur contexte historique et politique. Qu’ils se permettent de dire ou de faire ce qu’ils veulent à notre égard est leur problème. Nous devons leur opposer des réponses efficaces, mais nous ne pouvons cependant occulter les dimensions géographiques, sociales, culturelles, historiques, économiques et religieuses qui ont façonné les mentalités collectives. Notre vocation n’est pas de  juger, mais de comprendre pour être une force de proposition dans la voie prophétique :

{Je ne veux que la réforme, autant que je peux. Ma réussite ne dépend que d’Allah. Je me fie entièrement à Lui, et c’est à Lui que je reviens.}  Houd 88.

  • La quatrième impasse est celle de la Hijra, l’exil en sens inverse. Le malaise social conjugué au désordre mondial pousse les communautés juives, chrétiennes et musulmanes à chercher explication dans l’eschatologie. Ceci n’est pas nouveau. A côté du catastrophisme, on cultive l’eldorado du retour, de la Hijra vers les terres d’Islam. Je n’ai ni vocation à parler de halal et de haram, ni mission de parler au nom des gens, mais responsabilité d’éveiller. Tout projet est intéressant y compris celui du retour au pays de ses ancêtres tant que ce projet réponde à une démarche intelligente comme celle exigée par tout autre projet : viabilité, faisabilité et finalité. Chacun sera seul dans son choix et il devra se poser beaucoup de questions particulièrement celles sur ses motivations profondes, ses attendus, ses moyens, sa perception de la terre d’islam et enfin de sa responsabilité de témoin auprès des autres. Bien entendu l’islamophobie, le sionisme et le populisme chauvin seraient satisfaits de voir les musulmans partir. Ceux qui pensent que là-bas ils vont rejoindre l’armée de Mohamed pour combattre les mécréants d’ici ont certainement une lecture imparfaite de la réalité d’ici et de là-bas.

Sur le plan conceptuel et méthodologique, faire valoir un hadith déboité de son contexte d’énonciation ou se référer à des mots tels que Dar al Harb et Dar Al Islam qui n’ont plus de cadre historique et géographique c’est aller contre le projet fédérateur de l’humanité plurielle qui fait partie intégrale et indissociable de la sourate al Hujurate qui doit mobiliser notre attention en ces moments de Fitna (troubles et désordres) :

{O vous qui êtes devenus croyants : Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous fassiez connaissance…} Al Hujurate 6

Pour le capitalisme, dans sa version contemporaine, le consommateur et le marché n’ont ni territoire ni religion. La meilleure preuve c’est avec ses produits que les musulmans pratiquent l’effusion de sang de leurs semblables en terres d’islam pour le compte de l’islamophobie impériale. Pour les gouvernants français et les intellectuels de France c’est aussi le moyen de se ressaisir et de tisser les ponts pour une longue coexistence pacifique et mutuellement bénéfique avec les Musulmans sur un contenu clair et engageant.

  •  La cinquième impasse est l’imposture. Les imposteurs qui parlent au nom de l’islam cherchent souvent une place au soleil, une reconnaissance mondaine au lieu de l’agrément d’Allah. Les uns égorgent les musulmans et les innocents, les autres font allégeance aux médias pour se démarquer ou pour offrir leurs services d’auxiliaires de polices ou d’idiots utiles. S’ils avaient un peu de cœur et d’esprit ils auraient compris que la reconnaissance ne viendrait ni d’une communauté amorphe ni d’un système aliénant ni de l’effusion de sang. Lorsque le musulman proclame « Kafa bi Allah chahid : Allah me suffit comme Témoin » il se libère de toute quête de reconnaissance, de salaire, de soumission. Il accomplit son devoir sans rien attendre. Il agit par amour pour son Prophète et par respect de son message et non en réponse à un  intérêt ou à une injonction. C’est cet amour qu’exprime le comportement de celui pour qui Allah lui suffit comme Témoin, comme Guide, comme récompense. C’est cette trajectoire qui fait que le musulman est toujours insatisfait, en devenir car il cherche l’absolu. Rien ne peut le satisfaire ni les titres, ni les honneurs ni le prestige ni l’argent, ni la jouissance. Il est libre, rien ne peut le prendre en otage ni aliéner sa liberté et sa lucidité. Ce sont les critères coraniques qui ont éduqué Mohamed (saws)

{Nous t’envoyons aux hommes comme Messager. Allah suffit comme Témoin.} An Nissa 79

{Allah Témoigne de ce qu’Il te révèle. Il le révèle en toute connaissance, et les Anges en témoignent. Allah suffit comme Témoin.} An Nissa 166

Les justifications, les réponses empressés aux exigences d’allégeance inconditionnelle, les démonstrations de sa bonne foi qui se font d’une manière conjoncturelle et spectaculaire ne participent pas à l’émancipation de la liberté ni à la lucidité de la pensée ni à la promotion de la citoyenneté. L’ingénierie sociale et politique sous l’angle islamique exige de ses acteurs la circonspection et l’anticipation pour chercher les dénominateurs communs à partager avec le reste de l’humanité sur le plan de la liberté, de la justice, des savoirs, des arts et de la culture sans se démettre de ses valeurs ni céder au chantage, à l’intimidation et à la rumeur.

Conclusion :

C’est un ensemble d’idées, de concepts, de comportements et de valeurs que nous livrent la lecture de la sourate al Hujurate et ses annonces contextuelles : Mohamed (saws) et l’ouverture (la fin de crise et le triomphe des humbles sur les arrogants). Le tibyane coranique, la circonspection du croyant  n’est pas la réserve prudente de l’attentiste, le calcul de l’opportuniste, l’indolence du fataliste, ou les convulsions de l’anarchiste. C’est la posture intellectuelle de l’homme civilisé qui veut accomplir sa vocation de civilisateur en s’ouvrant aux possibilités du monde et en faisant don de ses possibilités sans jamais ignorer les conditions réelles – sociales, psychologiques, historiques, économiques et culturelles –  du déploiement ou de restriction de ces possibilités, de leur libération ou de leur oppression. Le musulman qui tue ou qui offre sa vassalité a perdu la lucidité et ainsi il a perdu la compétence de témoigner ne laissant derrière lui que l’horreur et la stupidité de son acte qui viendra témoigner contre lui le jour du témoignage ultime. Le tibyane coranique, la démarcation  du croyant, consiste à fixer les limites de l’expansion des autres sur son territoire et elle consiste aussi à se libérer de l’emprise des autres, de leurs préjugés et de leurs injonctions. C’est une prophylaxie sociale, une écologie intellectuelle, une épuration morale qui exige la présence de repères solides, identifiables, invariants et d’un curseur mobile qui s’adapte pour montrer l’urgence, la priorité, la vérité et ne pas demeurer sans cap ni boussole dans la tempête.  Le meurtrier et le vassal seront, dans cette vie, conduit vers l’accoutumance à  la confusion, car la lucidité qui leur permet d’y mettre fin est absente et le devoir de témoigner est anéanti par un acte ou un comportement insensé, sans limite, sans curseur.

Omar MAZRIwww.liberation-opprimes.net

Rédaction

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