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jeudi 18 avril, 2024

Essai d’explication des motivations du meurtrier – partie 1

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Quels sont les mobiles du meurtrier et quelles sont les conditions qui rendent le crime possible et facilitent la transgression du sacré ? Est-ce qu’il y a un lien ou une différence entre les meurtres du colonialisme, de l’inquisition, de l’évangélisme, de l’intégrisme musulman, du sionisme, de la première et seconde guerre mondiale qui se chiffrent en dizaine de millions de morts. Ces questions ont dérouté les anthropologues, les philosophes, les psychiatres, les juristes, les théologiens et les criminologues.

Le récit sur ce qui est supposé être le premier meurtre humain, dans les textes sacrés, a sans doute beaucoup de sens cachés et soulève beaucoup d’interrogations morales et intellectuelles. Il faut l’aborder sans précipitation et sans parti pris pour découvrir sa tragédie ainsi que sa vérité. Il faut donc lire lentement, assidument, diversement et beaucoup pour trouver réponse au désarroi de l’intelligence et du sentiment confrontés au meurtre et à ses justifications ? Il faut lire sans perdre de vue qu’actuellement et au nom de la lutte antiterroriste que c’est le sang musulman qui coule à flot et que ce sang est d’abord celui d’un être humain. C’est dans le drame humain universel qu’il faut chercher la clé une fois l’universel débarrassé de sa sphère géographique et culturel qui le monopolise et l’instrumentalise pour tuer et légitimer son crime.

Nous allons tenter de lever quelques voiles sur les mobiles profonds du meurtrier en approchant le meurtre par la culture biblique de l’Occident, la culture musulmane et enfin la lecture coranique.

L’approche biblique

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Caïn tuant Abel, Daniele Crespi (1618-1620)

La bible est le récit le plus déroutant, mais le plus dominant, sur l’origine du crime dans l’humanité. Pour des raisons d’analyse qui vont apparaitre au fur et à mesure, nous allons supposer que le récit biblique est vrai et le suivre comme fil conducteur qui pourrait nous amener à découvrir quelques indices pouvant expliquer le meurtre et la violence. Avec ces indices on pourrait plus tard solliciter le Coran et voir objectivement s’il apporte des éclaircissements ou s’il entretient les mêmes contradictions. J’aurais pu solliciter directement le Coran, mais j’aurais manqué de pédagogie. L’exercice est simple, mais long, juste ce qu’il faut pour ne pas faire de l’apologie islamique et de l’exclusion des connaissances. Nous allons donc commencer par « au commencement était le meurtre » qui semble être commun aux Juifs, aux Chrétiens et aux Musulmans.

Le Livre des Origines : Caïn et Abel – Genèse 4,1-26

Adam connut Eve, sa femme ; elle conçut, et enfanta Caïn et elle dit : J’ai formé un homme avec l’aide du Seigneur. 

Elle enfanta encore son frère Abel.

Abel fut berger, et Caïn fut laboureur.

Au bout de quelque temps, Caïn fit au Seigneur une offrande des fruits de la terre ; et Abel, de son côté, en fit une des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse.

Le Seigneur porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Caïn et sur son offrande.

Caïn fut très irrité, et son visage fut abattu.

Et le Seigneur dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu ?

Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi : mais toi, domine sur lui.

Cependant, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; mais, comme ils étaient dans les champs, Caïn se jeta sur son frère Abel, et le tua.

Le Seigneur dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ?

Et Dieu dit : Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi.

Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.

Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et vagabond sur la terre.

Caïn dit au Seigneur Mon châtiment est trop grand pour être supporté.

Voici, tu me chasses aujourd’hui de cette terre ; je serai caché loin de ta face, je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera.

Le Seigneur lui dit : Si quelqu’un tuait Caïn, Caïn serait vengé sept fois. Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour que quiconque le trouverait ne le tuât point.

C’est un beau texte plein de détails sur les noms, les nombres et la chronologie, mais s’il tente d’établir la filiation du peuple élu à Adam et de donner légitimité civilisationnelle à la violence biblique des Juifs il n’apporte pas de réponse (explicite ou implicite) sur le pourquoi du refus de l’offrande de Caïn et sur les mobiles profonds de son crime.

Hébreux 11: 4

 C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu un sacrifice plus excellent que celui de Caïn ; c’est par elle qu’il fut déclaré juste, Dieu approuvant ses offrandes; et c’est par elle qu’il parle encore, quoique mort.

 Jean 3:12

 Et que nous ne soyons point comme Caïn, qui était du malin [esprit] et qui tua son frère. Mais pour quel sujet le tua-t-il ? C’est parce que ses œuvres étaient mauvaises, et que celles de son frère étaient justes.

Rien ne vient étayer la définition du juste ni celle du méchant. Le juste est juste car il a été décrété ainsi et le méchant est méchant car il a été ainsi. Ils n’ont pas vocation de témoigner de leurs actes et de leurs intentions ou de les prouver. Ils sont et cela suffit. L’infantilisme islamique procède de la même logique narrative et manipulatrice.

Le prologue du récit sur le criminel dont la vie devient sacrée et qui lui permet de devenir édificateur de civilisation est déroutant :

Puis, Caïn s’éloigna de la face du Seigneur, et habita dans la terre de Nod, à l’orient d’Éden.

Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc.

Hénoc engendra Irad, Irad engendra Mehujaël, Mehujaël engendra Metuschaël, et Metuschaël engendra Lémec.

Lémec prit deux femmes : le nom de l’une était Ada, et le nom de l’autre Tsilla.

Ada enfanta Jabal : il fut le père de ceux qui habitent sous des tentes et près des troupeaux.

Le nom de son frère était Jubal : il fut le père de tous ceux qui jouent de la harpe et du chalumeau.

Tsilla, de son côté, enfanta Tubal Caïn, qui forgeait tous les instruments d’airain et de fer. La soeur de Tubal Caïn était Naama.

Lémec dit à ses femmes :

 Ada et Tsilla, écoutez ma voix !

Femmes de Lémec, écoutez ma parole !

J’ai tué un homme pour ma blessure,

Et un jeune homme pour ma meurtrissure.

Caïn sera vengé sept fois,

Et Lémec soixante-dix-sept fois.

 Adam connut encore sa femme ; elle enfanta un fils, et l’appela du nom de Seth, car, dit-elle, Dieu m’a donnée un autre fils à la place d’Abel, que Caïn a tué.

Seth eut aussi un fils, et il l’appela du nom d’Énosch. C’est alors que l’on commença à invoquer le nom du Seigneur.

Voici quelques questionnements que j’ai reformulés à partir de ce que j’ai pu lire d’intéressant sur le sujet dans la littérature judéo-chrétienne religieuse ou athée depuis plusieurs années pour me forger une conviction et une lecture au-delà du visuel littéral et du déclaratif superlatif :

1 – Dieu en refusant l’offrande de Caïn et en acceptant celle d’Abel n’est-il pas finalement le responsable du meurtre sinon l’incitateur ? Dans ce cas quelle est la responsabilité de Caïn ?

2 – Est-ce que Dieu en chassant Adam du Paradis, à cause d’Eve tentée par le serpent, poursuit-il de sa malédiction la descendance d’Adam qui ne sera levée qu’après le sacrifice de Jésus annoncé par Abel ? Tant que le Christ ne reviendra pas sur Terre le genre humain continuera-t-il de céder à la tentation, la tentation de pêcher au Paradis en mangeant la pomme et celle de tuer son frère ou son prochain sur terre après la déchéance. L’humanité va-t-elle payer pour la faute d’un seul ? L’humanité sera-t-elle sauvée par le sacrifice d’un seul ?

3 – Le crime et ses mobiles s’ils ne semblent pas être le sujet principal du récit biblique ne donnent –ils pas l’occasion de raconter la sainte Alliance indéfectible de Dieu au peuple élu que ce peuple soit en posture de sacrifié ou de meurtrier dans l’histoire humaine ? Non seulement le crime de Caïn n’est pas expliqué, mais Lemach, un de ses descendants, n’est pas tenu à s’expliquer sur l’identité de l’homme et du jeune homme qu’il a tué ni sur les raisons qui l’ont poussé à tuer. Lorsque le pédagogue français et le parent français approuvent que le récit biblique sur Caïn soit un texte fondateur pour la pensée et la culture de la fillette et du garçonnet de 10 ans en classe de sixième, il y a une légitimité aux questions d’ordre intellectuel et psychoaffectif des détracteurs de l’école française.

4 – La profusion de détails non seulement n’apporte rien à la compréhension du texte, mais elle est en contradiction avec la rareté d’informations sur le fond du texte et sa gravité : le premier crime de l’humanité. Logiquement il devrait y avoir un rapport entre l’implicite et l’explicite à moins qu’il y ait une intention de cacher la vérité pour qu’elle n’apparaisse que comme dévoilement aux initiés.

L’Occident a produit des chefs d’œuvres de musique, peinture et littérature et il maitrise parfaitement l’art de « transcender » ou « sublimer » la réalité en recréant le réel pour que son rendu artistique fasse apparaitre le sujet bouleversant « plus vrai que nature ». Un des procédés de sublimation consiste à faire ressortir et à exalter les caractéristiques essentielles du personnage en filtrant les détails qui l’accompagnent de telle manière que l’anecdote, le vulgaire, ou le terre-à-terre soient éliminés ou fortement atténués. Un autre procédé pour transcender le réel consiste à lui ajouter un cadre qui lui donne une intensité, un rythme ou une conclusion dramatique. L’anecdotique et les détails généalogiques nuisent à la tension dramatique.

Le récit biblique banalise le crime en lui enlevant la dimension dramatique attendue. Il y a à la fois quelque chose qui manque et trop de choses qui se rajoutent pour traiter comme il se doit le meurtre fondateur de l’humanité c’est-à-dire lui consacrer exclusivement le choc émotionnel, l’énigme intellectuelle et l’unité narrative. Il aurait fallu une épure, un dépouillement et une abstraction pour rendre le premier crime dans l’humanité ou au contraire un détail minutieux, mais focalisé sur le profil psychologique et religieux de Caïn. A moins que le crime dans le récit ne soit que l’occasion pour raconter l’œuvre de Caïn et donner légitimité aux massacreurs qui « civilisent » et prêchent la bonne parole.

On définit un récit fondateur comme « un texte qui fonde l’identité d’un peuple, qui l’enracine dans un passé, dans un univers culturel de référence que tous les membres de la communauté partagent ». L’identité d’un peuple se confond avec sa narrativité qui est la manière de se raconter, de se représenter. Historiquement la Bible peut-elle être le référent universel pour les grandes civilisations apparues en Asie, en Afrique et aux Amériques qui ont véhiculé d’autres mythes et d’autres textes ? La civilisation occidentale n’est-elle pas redevable aux mythes gréco-romains dont certains ont pour origine l’Égypte et la Perse lorsque la Grèce était sous influence orientale et l’Empire romain était importateur d’idoles et de mythes de ses colonies ? Ne sommes-nous donc pas dans un processus d’instrumentalisation idéologique de la Bible pour une domination politique et culturelle du monde ? Les autres religions n’apportent-elles pas aux hommes d’autres expériences de la vie et d’autres postures d’existence ontologique et spirituelle au-delà de ce que le judaïsme et le christianisme ont imaginé et codifié ? La narrativité qui écrit l’identité peut-elle faire l’économie de ce qui est permanent et rémanent en se focalisant sur la légende édificatrice d’un héros sans s’approprier les violences et les souffrances, la mort et le deuil, la culpabilité et le remord, l’amour et le chagrin du milieu familial et social qui interagit aux malheurs acquis ou provoqués par cet héros. Dans ce récit ni Abel ni Caïn n’ont de consistance humaine et sociale.

5 – Si le récit biblique met l’homme devant sa responsabilité d’exercer sa liberté de choisir entre le bien et le mal, y compris dans les extrêmes qui sont le meurtre et la violence, donne-t-il à l’homme les moyens de maîtriser ses choix et ses renoncements sans fatalité. La liberté est-elle la seule et convenable réponse à apporter au meurtre et à la violence ou est-ce la morale ?

6 – On pourrait se dire que si la malédiction n’est pas à redouter de Dieu et du Ciel mais des hommes et de la terre car Dieu est le seul à connaitre la vérité des cœurs et les mobiles profonds de l’acte, le pardon et la seconde chance seraient la règle y compris pour le meurtrier fratricide. L’homme devrait donc s’émanciper du simplisme et du bigotisme qui voudraient que Dieu punisse et récompense dans ce monde selon notre lecture limitée et hâtive sur les phénomènes ou qui voudraient voir le bien comme la seule et obligatoire récompense divine et le mal comme le seul et obligatoire châtiment divin. Le dessein et la parole de Dieu seraient alors subordonnés à notre subjectivité, à notre logique et à notre dessein humain.

7 – L’insistance du récit sur Caïn de la naissance à après son meurtre ne témoigne-t-elle pas de la priorité à l’aube de l’humanité : peupler et civiliser la terre?

8 – Le conflit entre les deux frères n’est-il pas le conflit entre les nomades pastoraux et les sédentaires agriculteurs ?

9 – Peut-on se soumettre à l’idée d’un Dieu qui agréé la qualité ou la quantité de l’offrande (ici préférence pour l’animal sur le végétal et préférence pour le début de période sur la fin de période) et non le cœur de celui qui fait offrande ?

10 – Le Dieu dans ce récit est-il une divinité universelle ou le Seigneur Dieu des Juifs et de Jésus personnifié par la représentation humaine et le monopole qu’un peuple veut exercer sur l’histoire humaine ?

11 – Le silence et l’effacement d’Abel dans le récit peuvent-ils signifier qu’Abel est le principal responsable qui aurait provoqué son frère le poussant à le tuer ou qui aurait refusé de dialoguer avec son frère le laissant ruminer sa rancœur jusqu’à ce qu’elle devienne haine ? Quelle est la part de responsabilité d’Adam et d’Eve lorsque le récit ne les évoque que comme géniteurs alors qu’ils ont la vocation d’être éducateurs ?

12 – Est-ce que la jalousie peut expliquer le meurtre ? Quels sont les éléments du récit qui permettent à l’homme non seulement de se prémunir de la jalousie, mais de savoir comment et pourquoi l’offrande de l’un est acceptée et celle de l’autre est rejetée ?

13 – Peut-on dire qu’il y a une prédisposition à la criminalité qui peut ne jamais se manifester sauf lors du passage à l’acte, imprévisible, que provoquent ou facilitent des motifs matériels et affectifs pourtant sans commune mesure avec la nature et la gravité de l’acte ?

14 – Le génocide et le massacre ordonnés par un gouvernant, un général d’armée ou un chef terroriste est-il de même nature et de même responsabilité que le meurtre isolé commis par un « fou » ou un passionné ?

15 – Adam et Eve mis en situation implicite d’accusé (pour l’acte de Cain) et d’accusateur (contre l’acte subie par Abel) n’expriment-ils pas la dualité tragique de l’humain qui doit donc manifester son humanité dans le déroulement d’un procès et dans la prononciation du verdict de la justice qui ne peut être confinée à un appareil et à un code de procédures ?

16 – Une personnalité « criminelle »  placée dans une situation « criminogène » passe-t-elle nécessairement à l’acte et si oui la nature de la personnalité et les conditions de sa situation  sont-elles plus importantes que l’acte lui-même en termes de responsabilité et de conséquences judiciaires ?

17 – Quel est le travail sur soi – par l’individu et par la société – qui empêche le (non)délinquant de penser ou de passer à l’acte criminel ? Travail, morale, éducation, social, spiritualité, etc.?

18 – Comment la démarche sectaire forme l’enfermement socio-psychologique et la pensée criminelle, et quel est le meilleur moyen de lutte contre les dérives sectaires ?

19 – Est-ce que la convoitise, l’envie et la jalousie sont intrinsèquement criminogènes ? Peut-on imaginer un être humain sans les désirs et les pulsions qui cultivent son ambition et son désir d’être et d’agir ? Si le désir est légitime rien n’indique dans le récit comment réguler ce désir pour qu’il ne devienne pas transgression.

20 – Caïn n’a pas éprouvé de remords pour son acte et n’a pas entrepris de travail pénitent. Il agit comme un être qui n’attend ni rémission pour son acte ni n’éprouve de crainte pour son châtiment. Sa seule préoccupation est de ne pas subir la vengeance des hommes. N’est-ce pas un symptôme de l’inhibition qui fait qu’il ne craint ni la sanction de Dieu qui l’a dissuadé de fomenter son acte odieux ni n’éprouve de l’empathie pour son frère. Il se comporte comme potentiel de pure agression. Est-ce ce profil de l’homme qui a peuplé la terre et qui a bâti des villes ? Ce texte n’est-il pas l’alibi religieux de la violence des conquêtes territoriales au nom de la civilisation ?

21 – Il est admis que la civilisation s’est construite par la sédentarisation et le surplus économique permis par l’agriculture or Caïn de laboureur est devenu pasteur nomade comme l’était Abel. Cela n’est-il pas contradictoire ?

22 – Caïn est au-delà de toute rédemption, si Dieu semble (ou ne semble pas) lui donner une chance de rédemption ne va-t-il pas vers l’exécution inexorable de son temps de vie et de la réalisation de son œuvre décrétés dans la prééternité ?

23 – Dans le judaïsme ancien n’y avait-il pas la pratique du sacrifice (holocauste) à l’instar de ce qui se faisait chez les Mayas et autres peuples primitifs. Le texte biblique n’est-il pas la réminiscence d’une forme de catharsis socio-religieuse sinon d’une réponse à travers le temps aux Prophètes d’Israël qui auraient en leur temps dénoncé le sacrifice humain et la violence dans les sociétés archaïques ? Dans cet ordre d’idées est-ce que le meurtre fondateur des Juifs (Bible) débouche sur le rituel du sacrifice puis progressivement sur le rite religieux moins violent ou est-ce le contraire c’est le rituel du sacrifice humain qui se donne justification (biblique) en intégrant dans un mythe les messages prophétiques qui refusaient le sacrifice humain ? Si l’on admet l’hypothèse, de plus en plus vraisemblable, que les civilisations moyen-orientales, sémitiques et phéniciennes, pratiquaient le sacrifice du premier enfant, les auteurs de l’Ancien Testament n’ont-ils pas confondu Abel et Caïn ?

24 – Selon la Kabbale juive,  Caïn serait la réalisation de la vengeance de la femme fatale Lilith. Lilith est la première femme et la première compagne d’Adam en Éden, avant Ève. Lilith dépravée s’accouple avec les démons et elle fut punie par la stérilité. Dieu créa alors Eve pour la postérité d’Adam. Pour se venger, elle pousse Satan, déguisé en serpent, à pervertir Ève en la tentant par le fruit puis en la possédant charnellement. De cette union, naît le premier être humain ombiliqué : Caïn.  Caïn devait fatalement tuer Abel et réaliser le triomphe de la matière et du démon sur l’esprit et le divin. Lilith, réalise son ultime projet du «mal pour le mal » en s’opposant à Dieu, en trahissant Adam (l’homme), en faisant déchoir Eve (la femme) et en pervertissant Caïn (l’enfant) le poussant au fratricide. Ce récit, remontant à la culture sumérienne avant l’apparition du peuple hébreu, n’est-il pas le socle fondamental de la magie archaïque, de la pensée psychanalytique moderne sur les fantasmes et la libido, et de l’inspiration postmoderniste dans la création, publicitaire, médiatique et artistique ?

25 – Adam et Ève, c’est la rivalité mimétique pour la pomme objet désiré et par le serpent comme agent médiateur du désir. Par le désir mimétique Adam et Eve sont frères et sœurs ennemis subissant la violence de la déchéance avec le diable. C’est ce même désir mimétique qui se communique à leurs enfants et qui génère la guerre des frères ennemis par laquelle se réalise la fondation de la communauté humaine. Dans cette théorie la communauté humaine de référence est-elle implicitement la communauté juive qui devient ainsi l’archétype social ou est-ce que c’est la communauté juive qui fait de ce mythe la référence fondatrice du judaïsme ?

26 – Le manichéisme manifeste de ce texte est hérétique car il suppose un principe du mal coexistant au principe du bien alors que le christianisme considère et déclare que la providence divine est sage et bonne et que l’homme est bon car il est créé à l’image de Dieu. Pour le Chrétien le mal n’est pas une nécessité, mais un accident qui provient de l’usure ou de la contamination du bien. Ainsi pris isolément ce texte ne renseigne pas sur le mal de l’homme que le christianisme attribue au péché originel, que l’homme aurait commis et qu’il continuera de commettre tant par l’usage abusif de sa liberté de faire ou de ne pas faire, d’être ou ne pas être que par sa quête insatiable de connaissance. Abusant de sa liberté et abusé par son savoir, l’homme n’a-t-il pas introduit le péché et de ce fait, Caïn ou tout autre pêcheur, n’assume-t-il pas sa liberté et les conséquences de ses actes sans rien falloir imputer à quelqu’un d’autre ni devoir attendre de la rédemption de la croix ou du sacrifice de Jésus ?

27 – L’ordre sacrificiel chrétien comme rite et comme dogme n’est-il pas la transposition du sacrifice abélien ? Le sacrifice abélien ne serait-il pas la justification de celui de Jésus

28 – L’effacement et le silence d’Abel dans la Bible n’est-il pas la justification religieuse et historique du syndrome victimaire par lequel la victime consent à subir l’acte coupable en quête de compassion ou par lequel le manipulateur jouant la victime désigne le bourreau bouc-émissaire ?  La victime n’est-elle pas le véritable agresseur ?

29 – Sans explication sur les raisons du refus et de l’acceptation de l’offrande on est en droit de se dire que le texte nie la différence de l’offrande et par conséquent ni le droit de la différence humaine ?

30 – Quel est l’échange de parole entre les frères ? Rien n’est dit. Ou bien il y a des manques dans le texte et le cas échéant on pourrait imaginer Abel provoquer son frère sinon il faut admettre qu’il n’y a pas de dialogue entre les frères signifiant que la haine est ancienne entre les deux frères. La responsabilité de la violence devrait être imputée aux deux frères incapables de surmonter leurs différends par la parole. L’offrande ne serait donc pas la cause du meurtre, mais juste le déclencheur ?

31 – Selon les traditions bibliques Caïn n’a pas été maudit puisque c’est par lui que la civilisation humaine a été initié, mais ce sont ses descendants à la vingt septième génération qui ont été maudits et qui ont péri dans le déluge. Peut-on faire porter la responsabilité d’un acte aux descendants de l’auteur ? Dire que la civilisation créée par Caïn dans la violence a péri dans la violence semble peu convaincant et très injuste !

32 – Si on donne crédit aux commentateurs bibliques qui disent que Caïn aurait été mal accueilli on peut donc s’interroger : Caïn n’aurait-il pas souffert de s’être senti mal aimé ? Dans le meurtre et la violence l’amour davantage que la jalousie n’aurait-il pas un rôle déterminant ?

33 – Le texte biblique se focalise sur l’offrande au lieu de se focaliser sur les personnages pourquoi on ne s’interroge pas sur le devenir du monde Si Dieu avait accepté l’offrande de Caïn ?

34 – L’histoire biblique de Caïn et Abel n’est-elle pas la mystification d’un fait historique marqué par la relation conflictuelle et guerrière entre les hominidés préhistoriques de Neandertal et de Cro-Magnon à la fois semblables et fortement différenciés au point d’apparaître comme des frères ennemis ? La disparition progressive et inexpliquée de l’homme de Neandertal ne laisse-t-elle pas supposer des comportements génocidaires symbolisés plus tard dans le mythe biblique de Caïn et d’Abel ?

35 – Peut-on voir dans le récit biblique le seul aspect du juste tué par le méchant alors que tout indique que Caïn est placé dans des conditions défavorables sans que rien ne vienne stopper sa progression vers la violence et le meurtre ? La mise en abîme du récit ne ressemble-t-elle pas à la tragédie grecque qui ne laisse à l’héros aucune perspective de changer son destin ?

35 – Quel crédit donner à la lecture marxisante qui considère le mythe biblique comme l’expression de la lutte sociale entre les partisans du bornage et de l’appropriation privée des terres agricoles et les partisans de la liberté de parcours et de l’appropriation collective des espaces ?

36 – La mystique juive dit qu’il y a une erreur de traduction et d’interprétation dans le livre de la Genèse et qu’il faut lire la déclaration d’Eve non comme  » J’ai formé un homme avec l’aide du Seigneur » mais « J’ai acquis un homme avec l’Éternel ». Non seulement le premier couple a enfanté l’homme Dieu, mais s’est occupé de Caïn comme étant l’homme divinité méritant égard et considération délaissant Abel l’homme fruit de l’homme. Caïn et Abel ne serait-elle pas l’histoire du double favoritisme humain et divin qui entre en contradiction par la corruption du dessein initial d’engendrer l’homme dieu parfait ? Cette dérive démiurge n’est-elle pas la même qui tente de faire de Jésus l’homme Dieu Rédempteur ? Cette dérive qui accepte dans un cas que le fils de Dieu soit le meurtre de son frère et dans un autre cas, et à des milliers d’années plus tard, qu’un autre fils de Dieu soit sacrifié pour sauver l’humanité n’est-elle pas la justification métaphysique du meurtre par lequel s’opère la purification et le salut ?

37 – Peut-on raisonnablement adhérer à l’idée que la jalousie puisse être la fondation de l’humanité et que le meurtre puisse non seulement être l’aboutissement de la jalousie, mais qu’il puisse être fondateur de la civilisation ?

38 – Caïn et Abel sont des adultes rompus au travail et à la responsabilité, il est donc logiquement difficile d’imaginer un comportement infantile de l’un ou des deux. Dans ce cas pouvons-nous imaginer Dieu instrumentalisant leur infantilisme pour réaliser son dessein ?

39 – L’histoire d’Adam et d’Eve et de leurs enfants est antérieure à l’invention de l’alphabet et de l’écriture. Peut-on donner du crédit à un récit véhiculé par l’oral dans des sociétés où le magique primait sur le rationnel ?

40 – Nous pouvons adhérer à l’idée que Dieu voit les cœurs et qu’Il démarque l’Offrande de l’un par rapport à celle de l’autre car Il a vu les intentions de chacun, mais pouvons-nous croire que Dieu fasse de l’offrande matérielle une compétition entre les hommes alors qu’elle est destinée à être une médiation dans la quête individuelle de Dieu. L’offrande a-t-elle vocation de chercher la bénédiction ou la malédiction ? Dieu n’a ni besoin de l’homme ni de son offrande en quoi l’offrande est déterminante dans le récit sur le meurtre et le devenir de l’humanité ?

41 – L’affirmation que Dieu a agréé l’un et refusé l’autre car l’offrande de l’un était qualitativement meilleure que celle de l’autre ne repose sur aucun indice sémantique ou textuel. Peut-on évaluer et comparer les offrandes puis construire un argumentaire logique alors que la Bible dit explicitement qu’Abel offrit le meilleur de ce qu’il avait tandis que Caïn offrit tout simplement une partie de ce qu’il avait. Peut-on alors se prononcer religieusement et intellectuellement sur de faux indices que notre imagination a introduits produisant ainsi un biais cognitif et une falsification sémantique ? Peut-on croire que la Justice impartiale et équitable de Dieu puisse juger un homme selon l’intention et l‘acte d’autrui ou de son frère au lieu de le juger lui-même sur sa propre intention et son propre acte ? Juge-t-on un homme sur ce qu’il a fait et ce qu’il doit faire ou le juge-t-on sur ce qu’il aurait pu faire ?

42 – Si symboliquement les plantes représentent la foi, tandis que les animaux représentent l’amour, peut-on dire que Dieu a agréé l’amour vivant et qu’il a rejeté la foi formaliste ? Si nous acceptons l’interprétation symbolique que fait l’homme sur les signes pour en extraire le sens nous pouvons dire aussi que la compétence symbolique autant que l’amour par rapport au simplisme et au formalisme n’est pas une certitude ou de la perfection de la foi et de la connaissance du divin, mais une ardeur intellectuelle et un goût spirituel qui distinguent l’intelligence et la sensibilité des hommes dans leur rapport à la vérité. Peut-on dire que Dieu juge selon nos normes et nos symboles ?

43 – Qu’est ce qui est le plus déroutant dans ce récit ? Le crime de l’homme auquel nous nous sommes plus ou moins habitués dans la vie réelle, médiatique et fictionnelle ou l’attitude du divin qui ne satisfait pas à la représentation que nous nous faisons de Dieu ?  La représentation anthropomorphique de Dieu n’a-t-elle pas faussé hier le travail d’écriture de la Bible comme elle fausse aujourd’hui notre lecture et notre réflexion ? Peut-on penser à Dieu sans l’investir de la représentation paternaliste de Dieu le Père qui fausse notre idée sur l’amour et la haine de Dieu, sur son agrément et son refus ramenés à notre échelle humaine imparfaite, relative et intéressée.

44 – Peut-on admettre l’idée que Dieu puisse être subjectif et prendre une de ses créatures comme référence pour juger une autre de ses créatures ou arbitrer leur compétition ou les classer les uns par rapport aux autres alors que par définition la déité fixe et rappelle la norme qui s’applique à tous indépendamment de chacun ?

45 – Si Caïn est dans l’état d’esprit du désobéissant et du transgresseur qui fait une offrande de mauvaise qualité qui ne sied pas à la Majesté divine pourquoi sa colère ne va pas jusqu’à son aboutissement c’est-à-dire se révolter contre Dieu qui a refusé son offrande en refusant le culte ou en refusant de croire comme le font beaucoup de personnes au lieu d’aller tuer son frère ?  Peut-on admettre que tuer son frère est une transgression moins grave qu’abandonner le culte ou le rite de l’offrande ? Le problème de Caïn n’est-il pas dans la confusion des priorités ?

46 – Peut-on valider l’idée que Caïn est mu par le désir mimétique qui le pousse à faire offrande comme son frère sans être au préalable convaincu de la nécessité et de la qualité de l’offrande et qu’il se venge en donnant la mort à son frère lorsque son désir a été contrarié ou lorsqu’il ne pouvait plus imiter son frère ? Peut-on imaginer Caïn, le premier fils de l’homme, aussi stupide dans ses réactions et si aliéné par le mimétisme de l’offrande et le désir de plaire à Dieu de son frère ? Il est difficile d’imaginer cet aboutissement violent auquel mène le désir mimétique lorsqu’on admet que les deux frères vivent dans des horizons différents qui exigent du temps et de l’attention : l’agriculture et l’élevage.

47 – La similitude de l’errance, du vagabondage, de l’exil, et de la malédiction d’Adam, de Caïn et des Hébreux pour des fautes qui ne semblent pas délibérées par eux ne vise-t-elle l’arbitraire d’un Dieu qui s’acharnerait sur ses créatures ou la volonté d’enraciner la culture victimaire et la quête d’un bouc émissaire qui serait ce Dieu imaginé par l’esprit judéo-chrétien pour se dédouaner de ses péchés et dissimuler ses crimes et son impiété dans l’histoire ?

48 – Peut-on imaginer ce drame comme une simple rivalité mimétique entre deux frères perdus dans une terre non peuplée et qui finit par un meurtre car l’un a jalousé l’autre pour une offrande laissée à l’appréciation de l’arbitraire divin ? Peut-on imaginer ce récit à l’aube de l’humanité sans que Dieu ne donne la parole à Adam et à Eve d’exprimer leur douleur, de chercher à savoir s’ils ont ou n’ont pas une part de responsabilité dans ce qui touche à leur propre chair, d’implorer Dieu de pardonner au tué et au meurtrier ou de venger la victime. Adam et Eve déchus du Paradis auraient-ils perdu leur humanité ?

49 – Face à mansuétude divine immuable Adam répond par la transgression, Caïn par le meurtre de son frère et le peuple juif par le massacre d’autres peuples ? Les auteurs de la Bible ne sont-ils pas l’expression d’une conscience collective torturée qui tente de s’inventer un sens historique et culturel moins tragique ?

50 – Peut-on valider la continuité chronologique du fait de la contiguïté textuel et accepter l’idée que Caïn soit le fils du premier Adam et de la première car leurs récits se succèdent dans la Bible ?  Ne vaut-t-il pas mieux parler de modèle ou de spécimen caïnique qu’une société humaine a produit quelque part sur terre bien après que des territoires furent peuplés et organisés politiquement, socialement et religieusement en civilisation avec ses rapports de pouvoir, de communication et de ritualisation.

51-  Si on fait abstraction du prophète Job tous les personnages bibliques sont des contestataires qui négocient, remettent en cause et parfois refusent la décision divine. Pourquoi ne voit-on pas Caïn demander des explications au refus de son offrande et contester celle d’Abel ?

51 – Souvent on oublie que la Thora est antérieure à l’évangile et que les Juifs pratiquaient le Korbane (terme sémite pour désigner l’offrande rituelle apportée au sanctuaire religieux, soit à titre public pour se rapprocher collectivement de Dieu, soit à titre individuel, pour se racheter d’une faute ou pour remercier Dieu pour ses bienfaits).  Ils considèrent qu’à défaut de taureau ou de mouton, on pouvait offrir de la volaille, des céréales, du vin ou de l’encens. On peut donc supposer que Caïn, laboureur, bien avant la Thora et la loi mosaïque, ne pouvait être astreint à offrir l’agneau et la graisse animale.

52 – Pour des mystiques juifs, le nom de Caïn viendrait de l’hébreu kayin qui dérive du verbe Kana, ce qui signifie acquérir. Le contexte du récit biblique sur Caïn est la terre, le sol, les villes, l’agriculture laisserait donc entendre que Caïn serait né pour peupler la terre, acquérir le foncier et l’immobilier, édifier des cités. Rien ne devrait donc s’opposer à sa vocation d’acquéreur y compris le meurtre de son propre frère et la violence contre les autres. Abel serait hevel, ce qui signifie, le souffle ou la vapeur qui sort de la bouche lors des jours froids de l’hiver. Il serait donc un éphémère qui s’exhale et se dissipe en un instant se contentant d’annoncer le printemps qu’il ne verrait jamais. Rien ne devrait se manifester lors de sa vie et de sa mort.  Hevel signifie aussi vanité, la vie d’Abel est non seulement éphémère, mais vaine et absurde, elle ne mérite pas qu’on lui trouve un sens ou une finalité. Pourquoi s’inquiéter de la mort de ce qui n’a pas existé ou qui n’a pas vocation à laisser une empreinte significative. Le seul et grand réconfort d’Abel contre la terreur de son propre souffle condamné à s’épuiser est la terre c’est à dire le triomphe inexorable de Caïn qui demande à Dieu de retourner vers sa terre et de ne pas être en être séparé car elle est son destin. Spiritualité effrayante de morbidité. Sommes-nous dans une réelle démarche spirituelle de mystique ou au contraire dans une allégorie idéologique du sionisme et du colonialisme. Depuis déjà longtemps la géopolitique biblique – géopolitique de la violence, du fait accompli et de la prédestination – a fait son entrée dans le champ politique et diplomatique.

53 – L’ouverture du récit biblique et la quête de logique sémantique ne permettent-elles pas d’avancer l’idée que Caïn pourrait être l’initiateur de l’offrande lorsqu’on considère que l’offrande rituelle est, selon les préceptes lévitiques, l’affaire exclusive du Cohen, le chef religieux juif qui descend de la famille d’Aaron, frère de Moïse et qui est en même temps l’ainée de la famille ? Dans l’hypothèse où Caïn serait l’innovateur du rite des offrandes avec sa double prééminence biologique et religieuse sur son frère ne pourrait-on pas faire une lecture inversée du récit biblique ou une inversion des rôles entre les deux frères dans le meurtre ainsi qu’une réinterprétation de la motivation du meurtrier ? En effet dans le récit biblique Abel n’est qu’un faire-valoir, l’énigme et le personnage clé sont Caïn. Les détails ne sont là que pour magnifier son déploiement sur terre.  La jalousie est trop petite pour incarner le drame ou la destinée de ce personnage qui avoue la dimension de sa démesure sans se repentir de son crime : « Mon châtiment est trop grand pour être supporté […] je serai caché loin de ta face… ». Ce n’est ni le crime ni la transgression ni le châtiment qui sont odieusement ostensibles à ses yeux mais la peur d’être oblitéré. Il ressemble à un exalté qui va d’ailleurs réaliser une œuvre exaltante : bâtir des villes par la violence… Conquérir des territoires par la violence qui ne semble pas lui poser problème moral.

55 – Peut-on imaginer que Caïn se comportait comme un maudit comme l’affirme les religieux juifs et chrétiens sous prétexte qu’il aurait passé sa vie à entreprendre sans rien achever et sans jamais se satisfaire de ce qu’il avait fait ? Le vide qui renvoie à la fatalité, la solitude qui rappelle l’accablement, l’esseulement qui désigne la menace et l’isolement qui évoque la malédiction sont trop peuplés et trop meublés dans le récit biblique pour qu’il puisse dégager intuitivement du sens et accréditer raisonnablement la thèse de la malédiction ou de la perdition de Caïn. Il est difficile d’envisager Moise et la Thora ou Jésus et l’Évangile dans leur réalité authentique et dans leur legs religieux ne disposant ni de l’effet moral dissuasif, ni de l’action pédagogique préventive, ni du traitement législatif à l’égard du crime.

56 – Quelles sont les valeurs religieuses et les portées anthropologiques dans l’édification de l’humanité d’un texte fondateur qui raconte la folie meurtrière de Dieu, de ses Prophètes et de des conflits de pouvoir entre eux comme le montre l’Exode :

« L’Éternel dit à Moïse : Je vois que ce peuple est un peuple au cou raide. [10] Maintenant laisse-moi ; ma colère va s’enflammer contre eux, et je les consumerai ; mais je ferai de toi une grande nation. [11] Moïse implora l’Éternel, son Dieu, et dit : Pourquoi, ô Éternel ! Ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Égypte par une grande puissance et par une main forte ? [12] Pourquoi les Égyptiens diraient-ils : C’est pour leur malheur qu’il les a fait sortir, c’est pour les tuer dans les montagnes, et pour les exterminer de dessus la terre ? Reviens de l’ardeur de ta colère, et repens-toi du mal que tu veux faire à ton peuple […]

[14] Et l’Éternel se repentit du mal qu’il avait déclaré vouloir faire à son peuple. […]

Moïse se plaça à la porte du camp, et dit : A moi ceux qui sont pour l’Éternel ! Et tous les enfants de Lévi s’assemblèrent auprès de lui. [27] Il leur dit : Ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël : Que chacun de vous mette son épée au côté ; traversez et parcourez le camp d’une porte à l’autre, et que chacun tue son frère, son parent. [28] Les enfants de Lévi firent ce qu’ordonnait Moïse ; et environ trois mille hommes parmi le peuple périrent en cette journée. [29] Moïse dit : Consacrez-vous aujourd’hui à l’Éternel, même en sacrifiant votre fils et votre frère, afin qu’il vous accorde aujourd’hui une bénédiction. »

Dans cet ordre d’idées que faut-il penser de la folie meurtrière sur laquelle aurait été fondée l’humanité et la civilisation : Genèse 4

« 21 – Le nom de son frère était Jubal: il fut le père de tous ceux qui jouent de la harpe et du chalumeau.

22 – Tsilla, de son côté, enfanta Tubal-Caïn, qui forgeait tous les instruments d’airain et de fer. La sœur de Tubal-Caïn était Naama.

23 – Lémec dit à ses femmes : Ada et Tsilla, écoutez ma voix ! Femmes de Lémec, écoutez ma parole ! J’ai tué un homme pour ma blessure, Et un jeune homme pour ma meurtrissure.… »

57 – Le protestantisme qui a introduit la démarche psychanalytique dans les rapports de l’homme de religion avec la population tente une lecture analytique sur Caïn.

Carl Gustav Jung a introduit le concept d’archétype dont le plus célèbre est « l’ombre » cette partie obscure et cachée de la personnalité humaine qui ne se connaît pas elle-même, et dont l’existence même est souvent ignorée. Les dissemblances de cette part d’ombre et de la conscience sont sources d’antagonisme, à l’origine de nombreux conflits psychiques, parfois source du caractère et de l’humeur : « Le point de départ est simple : la plupart des hommes ignorent leur ombre. (…) Le plus souvent elle est projetée dans des troubles somatiques, des obsessions, des fantasmes plus ou moins délirants, ou dans l’entourage. Elle est « les gens », auxquels on prête la bêtise, la cruauté, la couardise qu’il serait tragique de se reconnaître. Elle est tout ce qui déclenche la jalousie, le dégoût, la tendresse ».  L’ombre peut être définie comme notre double inversé, celui ou celle que nous aurions pu être, mais que nous ne sommes pas. C’est notre face obscure, elle contient l’ensemble des traits de caractère qui n’ont pas pu se développer dans notre personnalité. Elle symbolise en quelque sorte notre frère jumeau opposé qui est caché dans les profondeurs de notre inconscient. L’homme a une tendance naturelle à projeter sur autrui ou à voir en lui son propre côté obscur qui lui fait peur et qui le fascine en même temps. Il peut interpréter les « autres » soit comme des «ennemis» à combattre ou à pacifier soit comme des présences « exotiques »  fascinantes attirantes ou repoussantes.

Les théologiens disciples de Jung ont remarqué que l’Abel biblique n’existe pas par lui-même, mais uniquement comme le frère de Caïn comme s’il n’était que le reflet de l’autre. Abel n’a de place et d’existence dans le récit que juste comme l’ombre de son frère. Si la mère annonce ostensiblement la naissance de Caïn, elle oblitère celle d’Abel qui vient sans bruit et sans fanfare. L’archétype de l’ombre et les circonstances de la naissance placent les deux frères dans un conflit inéluctable : ils sont des personnalités que l’intuition et le texte biblique montrent comme fort contrastées, mais agissant d’une manière similaire. Dans la similitude qui lie les frères pourtant fortement différenciés c’est Abel qui imite Caïn et c’est lui qui reçoit les faveurs divines. Plus que la jalousie c’est peut-être la souffrance du rejet qui a motivé la haine de Caïn pour son frère. A cette souffrance vient s’ajouter celle d’être incompris et celle de ne pas comprendre. A toutes ces souffrances vient encore s’ajouter celle de vouloir être l’autre frère sans avoir conscience de ce désir et de ses motivations.

Dans cette tension psychologique et affective, rien n’indique que Caïn a péché et rien ne vient le soulager du côté de sa famille et lui prêter oreille. A l’incompréhension s’ajoute le sentiment d’abandon. Si la colère semble avoir poussé Caïn à détruire l’autre lui-même qui lui renvoie le paradoxe de sa propre existence, le sang-froid et l’indifférence semblent le caractériser lorsqu’il répond à Dieu qui le questionne sur son frère. Ce caractère incompréhensible après le premier meurtre dans l’humanité est peut-être le signe de l’état de choc et de l’effondrement psychologique et affectif qui se manifestent sous forme de déni de réalité, de déni de connaissance. L’inconscient a déjà enregistré qu’au-delà du meurtre physique du frère, Caïn a tué une partie de lui-même et qu’il se trouve complètement pris au dépourvu par son propre acte.

Privé de l’autre lui-même, Caïn se trouve privé de remords et de repentance. Il se trouve dans l’incapacité de demander pardon. Le temps faisant son œuvre, la fierté et la honte occultent l’humilité qui accepte le pardon de l’autre ou qui cherche le pardon d’autrui. L’homme s’installe dans l’arrogance ou dans l’indifférence. Caïn avait peut-être déjà acquis l’idée qu’il était mauvais et irrécupérable. Ce sentiment destructeur ne peut produire l’apaisement par la quête de pardon lorsque le sentiment de culpabilité dépasse le seuil du tolérable.

Le récit biblique annonce le troisième frère qui va engendrer l’humanité. Il n’est ni Abel ni Caïn, il est un autre. Il porte cependant en lui les contradictions et les rivalités des deux autres frères. Ce sont des ombres qu’il faut surmonter par l’introspection et l’expérience de soi jusqu’à la compréhension de sa dualité et l’apaisement lors de la découverte de la part de sagesse divine enfouie au plus profond de nous-mêmes. Le rationalisme religieux adhère de plus en plus à l’idée que certain syndromes névrotiques peuvent être vécu comme un effacement de la volonté et l’intrusion de « Dieu » qui guiderait le comportement irrationnel de l’individu.  Ils sont d’accord que ce syndrome conduit à la solitude et à la rupture sociale avec conséquences ou non de violences. Ils sont d’accord pour que le traitement psychiatrique soit conduit avec une rééducation spirituelle, une réinsertion sociale et une réappropriation intellectuelle par le malade s’il parvient d’abord à prendre conscience de la fausse représentation du divin qui se manifeste à lui.

L’archétype comme inconscient collectif et patrimoine commun à l’humanité ne concerne pas seulement l’homme en qualité d’individu, mais également les collectivités humaines qui intègrent les expériences antérieures sous formes de mythes pour expliquer ce qui était caché à leur conscience collective. Le véritable danger est lorsqu’une société fabrique ou reproduit puis justifie les comportements caïniques et entretient leurs mécanismes sociaux, culturels, idéologiques et religieux. Dans ce danger croissant qui pousse les uns à se croire inspirés par Dieu et à parler en son nom sans le connaitre et d’autres par Satan à qui ils cherchent à se soumettre, l’homme de religion ne connait ni Dieu ni l’homme, le médecin n’a ni compétence ni habilitation à parler de l’âme, l’enseignant n’a plus le droit d’évoquer la morale et la spiritualité. Face à ce vide les Abel et les Caïn sont livrés au silence, à la solitude, à l’abandon et au tragique le plus indicible.

58 – Si on déplace la question sur le terrain de la psychanalyse freudienne en restant focalisé sur la mentalité collective ne pourrait-on pas voir le récit biblique qui efface Abel et met au premier plan Caïn comme la manifestation d’un refoulement ? Le refoulement est l’opération par laquelle le sujet repousse et maintient à distance du conscient des sentiments ou des représentations considérés comme désagréables, car inconciliables avec le Moi. Le Moi biblique, celui du peuple d’Israël, n’est pas une représentation abélienne, spirituel, mais caïnique, matérialiste et pragmatique. Le refoulement s’opère par l’amnésie sélective et opère des « trous de mémoire » pour se protéger de l’angoisse enfouie dans l’inconscient ou de l’interpellation de la conscience lorsqu’elle se mémorise ce qui la dérange. La psychanalyse freudienne montre que le refoulement peut aussi se construire sur la fascination et l’attraction qui déconstruisent une représentation ancienne et incrustent à sa place une nouvelle représentation attirée comme un aimant dans la mémoire puis dans l’inconscient.

Le refoulement, par la fabrication des représentations historiques, psychoaffectives et culturelles, imposent des « trous narratifs » ou des « émergences fabulatrices » afin de protéger ou d’exalter le Moi communautaire lorsque celui-ci est une dérive  démiurge et violente contre le Moi Prophétique et son invitation à la relation spirituelle et morale avec le divin.

Les traumatismes engendrés par les violences subies par soi, réalisées contre les autres y compris contre les Prophètes ne peuvent être évacuées que par deux voix : l’affrontement de la vérité ou le refoulement par le récit d’une autre représentation ou d’une autre réalité. La seconde voie plus facile permet de broder une identité se réclamant de l’universel et s’affichant comme unique et totale sans besoin de se prouver puisqu’il lui suffit de se raconter comme tel. A ce titre le récit sur Abel et Caïn ne prouve rien, ne justifie rien, n’explique rien il raconte l’émergence d’un peuple élu dont la généalogie suffit pour se réclamer de la vérité.

59 – Caïn n’aurait-il pas été amené à tuer son frère (de sang, de sol, de religion) pour venger le sang d’un autre frère (de sang, de sol ou de religion) par devoir envers une fratrie. La secte, pourquoi pas sectaire, aurait exigé de Caïn qu’il manifeste son appartenance indéfectible sociale, religieuse et idéologique par une action punitive contre un coupable de délit ou contre un innocent mis au ban. Si l’acte de Caïn est désavoué par Dieu car c’est un crime, il est magnifié par sa communauté qui en fait un chef fondateur. Comme tous les faits graves enregistrés dans la mémoire collective et déformés par le temps et l’oralité, il est parvenu aux auteurs de la Bible qui ont tenté de lui donner une cohérence narrative et une profondeur religieuse alors que son cadre initial et réel était sectaire. Caïn serait alors le juste et le pur au sens sectaire qui aurait tué celui qui a été jugé méchant car désavouant la secte et ses pratiques. Caïn ou le modèle humain ou social qu’il représente pourrait être une sublimation inversée de la réalité. La légende des siècles de Victor Hugo a ajouté des éléments narratifs qui donnent une intensité dramatique que le récit biblique n’avait pas. Dans ce travail d’écriture rien n’interdit de penser que les auteurs de la Bible aient emprunté à d’autres mythes et procédé à des arrangements, des omissions ou des ajouts dans le récit.

60 – L’anthropologie du sacrifice considère que l’humanité s’est pacifiée et humanisée en passant du sacrifice humain au sacrifice des bêtes. L’offrande sacrificielle était choisie parmi les bêtes les plus « humaines » par leur domesticité pour réaliser la substitution du sacrifié et conserver la signification rituelle du sacrifice. Dans cette perspective Abel offrait un agneau qui représentait l’humanité qui l’habitait alors que Caïn dépourvu d’humanité ne pouvait qu’aller au meurtre de son frère pour accomplir ce qui lui semblait la forme la plus parfaire du sacrifice. Est-ce l’humanité des bêtes ou leur disponibilité (abondance, facilité et docilité) dont il est vraiment question qui les rend apte au sacrifice ?

61 – L’histoire du monde occidental est violente, meurtrière. Les guerres de religion, les guerres de colonisation, les guerres de constitution des États nations et les deux guerres mondiales ont saboté l’humanité. Ce sont des guerres menées par des chrétiens et pour des chrétiens mais dont les victimes sont majoritairement les adeptes des autres religions. Comment comprendre qu’au nom de Dieu et par amour de Jésus on puisse procéder à cette effusion de sang qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire humaine ? Le sous-bassement idéologique et culturel judéo-chrétien et gréco-romain est-il le ferment de cette violence meurtrière ?

Les critiques de la bible s’interrogent sur le paradoxe de l’amour et de la paix déclarés par les Chrétiens et la violence de Dieu  manifestée par l’exercice de son pouvoir ou par les actes qu’il inspire ou ordonne aux hommes dans la Bible. C’est ainsi que les intellectuels chrétiens ont adhéré à une sorte de désacralisation du texte biblique en optant pour la démarche historique c’est à dire en prenant de la distance avec le texte en lui reconnaissant sa qualité humaine et en l’examinant objectivement selon les progrès de la linguistique, de l’anthropologie, de l’épigraphie et de l’archéologie. Cette démarche a montré que le dieu dont il s’agit dans les textes bibliques n’est pas le Dieu universel, mais le dieu des clans et des hommes. L’histoire des clans s’est trouvée confondue avec la théologie (discours sur Dieu, représentation de Dieu) et Dieu sous l’angle anthropomorphique et ethnocentrique est devenu une divinité vengeresse, guerrière, sectaire sans dessein autre que le drame d’un clan dans sa gloire et sa décadence. Cette divinité est à la fois l’émanation de Dieu l’Un et des dieux multiples nationaux ou claniques. Dans cette confusion de représentations de la divinité, la violence des dieux, leur racisme et leur insenséisme trouvent leur origine dans les luttes de pouvoir et de conquête des territoires où la violence et la mise à mort sont exaltées au plus haut point. Lorsqu’il est question de droit, de paix et de justice dans des états nations plus évolués ces notions seront sous l’autorité directe d’un chef représentant de Dieu sur terre et limitées exclusivement au peuple et à la cité des élus de Dieu qui ont le droit et le pouvoir d’exterminer les barbares (les étrangers) ou de les réduire en esclavage. La démarche scientifique a montré que le peuple élu de la Bible est une mythologie et que la réalité est celle de peuplades hétérogènes et composites rurales, montagnardes et nomades.

Si les textes bibliques ne sont qu’un montage idéologique alors le récit du meurtre de Caïn ressemble à celui des frontières d’Israël : une usurpation qui ne se fixe ni étendues territoriales ni durées temporelles pour ne pas avoir à justifier ses crimes ni à négocier la paix et encore moins à respecter les droits. Bien entendu l’explication judéo-chrétienne religieuse et historique du conflit en Palestine ne tient pas la route : (Genèse 27 36 Ésaü dit : Est-ce parce qu’on l’a appelé du nom de Jacob qu’il m’a supplanté deux fois ? Il a enlevé mon droit d’aînesse, et voici maintenant qu’il vient d’enlever ma bénédiction. Et il dit : N’as-tu point réservé de bénédiction pour moi ?  […] 41 Ésaü conçut de la haine contre Jacob, à cause de la bénédiction dont son père l’avait béni ; et Ésaü disait en son cœur : Les jours du deuil de mon père vont approcher, et je tuerai Jacob, mon frère.)

Le maniement de l’historicité apporte donc beaucoup d’éclairage sur la sociologie du fait religieux, et explique en partie la violence et le meurtre même s’il tente le paradoxe de dédouaner les Juifs du meurtre de Jésus  tout en niant la violence qu’ils s’imputent dans l’Ancien Testament. Les Juifs disent que les interprétations chrétiennes font de Caïn l’image d’Israël meurtrier du Christ et que le récit sur ses deux crimes est le prétexte pour fonder l’antijudaïsme. Le terme antisémitisme servi à toutes les sauces par les politiques et les médias en France est un terme nouveau forgé à la fin du 19ème siècle par un journaliste allemand à consonance plus idéologique que religieuse.

Cet inventaire non exhaustif permet d’avoir un aperçu sur le foisonnement d’idées et de controverses dans le monde occidental sur les références de sa propre fondation. Un peu plus loin on va montrer que le monde musulman n’échappe pas à une fondation sur des prémisses qui ne sont pas forcément vraies. Plus tard on verra toutes ces questions d’ordre métaphysique, philosophique, juridique, historique, anthropologique, idéologique sont aussi pertinentes que dramatiques. Globalement la réflexion judéo-chrétienne, croyante et non croyante, n’apporte pas d’éclairage décisif ou catégorique sur le pourquoi du commencement tragique de l’histoire de l’humanité et sur les motivations réelles qui ont poussé Caïn à tuer Abel ?

Il est indéniable que ce questionnement est trop étendu – car le récit biblique est trop ouvert – pour qu’il permette d’aboutir à un consensus d’interprétation. S’il n’y a pas d’unanimité sur le sens du récit, il faut admettre que la Bible reste le creuset culturel et philosophique de l’Occident qui procède à l’exploration, à la réfutation et à la métamorphose de ses mythes fondateurs en confrontant ses lectures intra bibliques et extra bibliques toutes focalisées sur les thèmes majeurs de la Bible.

Le musulman peut d’emblée rejeter ce récit en invoquant ses failles sur le plan du monothéisme. Lorsqu’on admet que dans la Bible, Dieu est inconnaissant de ce qui se passe sur Terre (L’Eternel dit à Caïn: Où est ton frère Abel? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère?(Genèse 4: 9)) comme il était  inconnaissant de ce qui se passait au Paradis (Mais l’Eternel Dieu appela l’homme, et lui dit: Où es-tu? (Genèse 3: 9)).

On peut aussi s’interroger sur la validité et la crédibilité d’un dieu hésitant se cherchant des justifications :

Genèse 4 : Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes, et qu’elles leur eurent donné des enfants: ce sont ces héros qui furent fameux dans l’antiquité.

Genèse 5 : L’Eternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal.

Genèse 6 : L’Eternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé en son cœur.…

Genèse 8 : L’Eternel sentit une odeur agréable, et l’Eternel dit en son cœur : Je ne maudirai plus la terre, à cause de l’homme, parce que les pensées du cœur de l’homme sont mauvaises dès sa jeunesse; et je ne frapperai plus tout ce qui est vivant, comme je l’ai fait.

Si d’emblée on rejette le texte biblique alors on se priverait des interrogations qui ont fait évoluer la pensée occidentale, religieuse, agnostique et athée, et qui apportent leur part de vérité et de mensonge dans le drame humain sinon des indices et des arguments pour approcher la vérité ou dévoiler le mensonge. Si on devait ne voir que la stricte vérité historique et religieuse alors on ne chercherait à se poser aucune question une fois que la question de bon sens est posée sans réponse : « Avec quels habitants de la terre Caïn construit-il une ville ? ». Ce n’est donc pas le récit biblique en lui-même qui nous intéresse, mais la pensée occidentale qui se structure autour de ce récit et qui structure la pensée des orientalistes, des islamologues et des savoirs musulmans dominés par l’Occident. En effet le livre de la Genèse, porte d’entrée de la Bible, est pour l’imaginaire juif et chrétien, athée ou croyant, le dessein de Dieu pour les hommes. Les histoires bibliques d’Adam et Ève, de Caïn et Abel, du Déluge, de la tour de Babel, d’Abraham ont forgé le socle culturel et religieux de la civilisation occidentale car ils sont le récit universel de l’Église, de l’école et des arts des jeunes et des adultes occidentaux depuis que l’Occident a émergé dans l’histoire de l’humanité. L’examen de ce socle et sa confrontation avec celui de l’Islam permet de trouver un fil conducteur vers l’ultime motivation du meurtrier qui prémédite de tuer son frère en humanité, en parenté, en religion ou en société sans éprouver du remords après son horrible acte.

Bien entendu l’islamophobie et le racisme veulent imputer la violence aux musulmans qui agiraient en conformité avec la violence intrinsèque de l’Islam ennemi de l’humanité. Par manque de vigilance ou par cupidité et désir de reconnaissance sociale et médiatique certains musulmans ne s’impliquent pas comme agents en quête de vérité, mais comme auxiliaire de la lutte idéologique subversive contre l’Islam et les communautés musulmanes alors que d’autres se refusent de savoir et se contentent de l’apologie des évidences. Ils ne font que réagir dans le sens attendu par la lutte idéologique de l’islamophobie.

Il faut avouer qu’il est de plus en plus difficile d’avoir ce questionnement libre et divers et ces prises de position courageuse et responsables par rapport au savoir, religieux et non religieux, dans le monde musulman. Le monde musulman semble se diriger vers une ambiance médiévale d’inquisition religieuse qui permet politiquement de traiter son opposant de traître, d’hérétique ou d’apostat pour le mettre au silence faute d’arguments ou s’inventer des justifications religieuses ou politiques pour l’envoyer au bûcher. Les islamistes et les laïcistes agissent dans la direction souhaitée par l’Islamophobie : exacerber le discours de haine, vider les débats de tout contenu logique et de toute intelligence, fabriquer et généraliser la méfiance envers les musulmans et la défiance entre les musulmans… Chaque clan construit ses arguments fallacieux pour faire de la surenchère médiatique et idéologique, répondant aux injonctions et aux pulsions…

Les falsificateurs prétendants à la modernité ou à la rupture avec l’Islam ne savent même pas qu’ils lisent le monde par l’importation des idées occidentales dont le ferment est la culture biblique dont ils ne possèdent ni les prérequis religieux ni les présupposés philosophiques et culturels. Les imposteurs prétendants à l’islamisme en rupture aussi bien avec la démarche prophétique qu’avec le mouvement des idées ignorent qu’ils lisent le monde par le transfert des opinions d’une doxa religieuse élaborée en pleine décadence du monde musulman et reproduite pour saper la reforme et la renaissance musulmane d’une part, et maintenir les rentes et les privilèges d’autre part. Dans cette situation absurde par la coexistence de contradictions inconciliables et ingérables ne peut que s’installer durablement le chaos.

L’absence de dialogue et de débat de haut niveau en plus des problèmes d’indigence politique, économique et social conjugués à l’ingérence militaire étrangère sont le creuset idéal pour l’émergence et le développement de la pensée unique sectaire et insensée rendant licite les crimes les plus odieux sur des frères de sol, de sang, de religion ou d’humanité.

Ces questions que nous avons recueillies lors de nos lectures apportent par leurs diversités et leurs contradictions des éléments de réponse sur le meurtre. Lorsque la foi et la raison sont en contradiction il faut chercher la vérité en poussant l’une et l’autre à ses limites, alors il sera peut-être possible de découvrir la faille qui rend difficile la réponse à la question sur l’homme transgressant le sacré et attentant à la vie d’autrui. Ces questions ne répondent pas encore à la question pourquoi tue-t-on au nom de Dieu et du sacré (la nation, la liberté, la justice, la vérité et autres déclarations), mais elles nous y conduisent. Avec un peu de lucidité nous trouverons les motivations profondes qui font qu’un individu, un groupe ou une nation terrorise un individu, un groupe, une communauté.

PARTIE 2

Omar MAZRI – www.liberation-opprimes.net

Sur l’Auteur

Omar Mazri
Omar MAZRI

Inscrit dans une démarche de civilisation, il se démarque des salafistes, des coranistes, des Frères Musulmans et des modernistes ainsi que de tout partisan du schisme doctrinaire et confessionnel entre Musulmans. Il veut s’inscrire dans une lecture de l’Islam qui fait du Coran le moteur ontologique, social et civilisationnel proche de l’esprit des Compagnons du Prophète sans tomber dans le travers de l’apologie, ni celui de la polémique, ni celui du mimétisme formel. Ayant connu l’Islam par le Coran Omar Mazri a instinctivement refusé les schimses et les divergences. Il a la conviction que les écoles doctrinaires, les courants confessionnels et les partis d’inspiration islamique et non islamique sont une perte de temps, un gaspillage des énergies et une source de conflits et de division.

Le Coran est lisible en tout lieu et tout temps sans livrer tous ses secrets ni tous ses miracles. Il doit être le printemps de la Sahwa islamique, l’éveil civilisationnel. Le formalisme et le littéralisme sont des voies de tarissement de l’esprit et de l’action sans perspective d’édification autre que le paraitre qui à l’épreuve du temps et des épreuves se révèle une coquille vide, un boulet pour l’islam, un encombrement social, une inertie contre la loi divine du mouvement et de l’initiative. Le Coran et la Sunna sont les référents moraux, religieux, idéologiques pour conduire la communauté musulmane de son Wahn vers sa gloire dans ce monde et le salut dans l’autre.

L’attachement à l’Islam doit se montrer dans la rupture de toutes les frontières qui séparent et divisent les musulmans. Tout esprit partisan, toute culture sectaire, toute quête de pouvoir et toute instrumentalisation de la religion à des fins politiciennes ne mènent qu’à la catastrophe du monde musulman.

Site Internet : www.liberation-opprimes.net

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