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vendredi 19 avril, 2024

Mohamed Chetoui : Dromadaire de souk en souk

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Depuis le jour inscrit sur le sable, le regard blessé mais lumineux, je traîne ma bosse de Dromadaire de souk en souk, de foire en foire, sans rien vendre ni acheter. C’est juste pour le plaisir de me fondre dans la foule, d’être seul dans la multitude, de méditer sur l’éclat de rire d’un enfant, sur la beauté d’une femme. De me jouer du temps qui se joue de moi au-delà des interstices d’une nuance de couleur qui s'étale d'une rive à l'autre d’une meurtrissure tout en profondeur et intensité.

On raconte qu’autrefois, les âmes se promenaient nues la nuit et prenaient des bains de boue avec les étoiles entre ciel et terre sans peur d’être pointées du doigt ou piétinées par les chiens qui aboient aux ténèbres. Elles étaient libres comme la nostalgie, le rêve et le grain de poussière hissée au rang de mythe.

Autrefois fut, et aujourd'hui se fait dans l’ignorance de ce que demain sera fait. Il fera beau quand même, beau comme l’oubli nécessaire à la fécondation de ce qui nous pousse à continuer à aller de l’avant et à privilégier la vie. Sans quoi la main se figera et n’arrivera pas jusqu’à la bouche pour la nourrir et nourrir le corps qui les nourrit, elle, la bouche et l’esprit qui les guide.

Je ne me plains pas des piqûres des mouches et autres insectes nuisibles. Je prends mon mal en patience et part insolent rire de mes travers de quadrupède ou primate à bosse, je ne sais. Je porte mes hallucinations en étendard et me plais à répéter comme une litanie les propos du sage (ou cheikh) de ma tribu. Il disait : « L'homme à l'homme est un ogre dés que le vil prend le dessus sur lui et le ramène à végéter avec ses étroitesses. En lui, l'ange et le diable se confondent. Ne t’invente jamais diable, car tu rencontreras toujours plus diable que toi. Tiens-toi debout et ne courbe pas l’échine sauf par respect à celui qui te respecte. Prends la braise pour une sucrerie, elle la sera. C’est avec la volonté qu’on brise les chaînes les plus solides et il n’y a pas de chaînes plus solides que celles qui entravent la pensée. Sois l’équilibre et ne laisse pas ton corps t'habiter car il te sera lourd à transporter. Ne suis pas, sois ! »

On appelle cet équilibre le nœud fragile du destin parce qu’il se défait chaque fois qu’on le noue, peu importe la complexité et l'ingéniosité avec lesquelles on le fait. Le sage (ou cheikh) de ma tribu ne l'ignorait pas, et pour cette raison, il ajoutait : « C'est en marchant sur les chemins tracés par ceux qui nous ont devancés, que nous trébuchons plus sur les obstacles. Non pas parce qu’ils s'y trouvent en grand nombre mais parce que nous baissons la garde devant ce qui nous paraît aller de soi ».

Toute quête est au bout de l’aventure, auprès d’un arbre fleuri, un amandier dont les feuilles sont les secrets d’une femme livrés à travers la racine, la roche et la complicité du cordon ombilicale qui relie le jour à la nuit.

La différence n’est pas toujours là où on la voit et souvent l’ombre (ou le contraire) d’une chose est la chose même. La souffrance est au creux du cri, ignore celui qui l’ignore et s’impose dans l’acte gratuit et architectural de sa genèse où toutes les lâchetés mènent à la cruauté par séquestration des pétales dans leur bouton de fleur. La logique est une prison lorsqu’on se prend avec elle dans un système ou une débilité et réconforte avec beaucoup de bruit l’élan mesquin de la démesure. Faute de croire, faute d’admettre que loin, c’est tout près, que derrière, c’est devant, on continue à ne pas voir l’envers et l’endroit en même temps. Le regard vissé sur la fin, le début nous paraît évident, alors qu’il ne l’est pas et reste un mystère comme tout ce qui recommence sans jamais être pareil.

Naguère, on appelait l’hominien, l’humain « Le même et le différent » ou « le multiple et l’unique » pour le rendre plus intelligible par les deux facettes qui le dépeignent le mieux. Le même ou le multiple est celle qui veut qu’il soit lui-même et existe par lui-même et le différent ou l’unique est celle qui veut qu’il soit différent et existe dans le regard des autres ou de l’Autre à travers les autres. Tout est conséquences de ces deux facettes dans leur quête du sens et dans leur peur de tomber dans le non-sens en se faisant soutenir par la croyance en l’existence d’une frontière étanche entre les deux. Entre le sens et le non-sens, il n’existe aucune frontière, ils sont à l’humain et forment un seul spectre de lui-même sur lequel il va et vient. Mais il ne tient pas à l’admettre parce que s’il l’admet, il doit admettre que tous ses discours sont suspects et avec des discours suspects on ne fait pas des vieux os sur les tribunes et les hauteurs des pouvoirs, sur les promontoires des exhibitions et les places des démonstrations. Sans regard, on se dessèche lentement mais sûrement. Mais le regard est une notion vaste, il n’est pas exclu de le trouver en soi, chez un animal, un objet, une représentation idéale ou chez un être suprême impartial et juste. Le regard et le discours entretiennent d’étranges affinités et n’échappent au grotesque que grâce à d’habilles contorsions. Qu’est-ce qu’on ne leur fait pas subir !

À ce sujet, j’ai souvent entendu le sage (ou cheikh) de ma tribu lancer à la ronde et surtout à qui ne veut pas l’entendre :

– « Le regard croit voir et le discours croit savoir, qu’ils croient comme ils l’entendent ! Mais je doute qu’il y ait un moyen de leur éviter de sombrer dans la mascarade ou dans un cloaque pestilentiel. Je doute qu’ils puissent être seulement ce qu’ils prétendent être. Ah la mascarade, grandeur des grandeurs ! Bienheureux est celui qui n’est jamais venu et n’a ni vu ni su. Bienheureux est l’absent. Bienheureux est ce passant qui dit « j’aime, je n’aime pas » par irrespect, par audace et qui crache dans la soupe qu’on lui tend en le prenant pour un mendiant, avant de la déverser parterre en s’exclamant : je connais la charité, elle est le dos de lépée. Moi, je préfère être frappé par son tranchant que par son dos. Je connais limpératif de la solidarité et je my plie.

C’est le matin qui annonce la journée pour qui sait y lire les prémices ou les liminaires, dit le discours qui croit savoir. Mais il omet d’ajouter que les prémices ne sont pas toutes lisibles et que certaines paraissant essentielles peuvent n’être que des leurres. Quant au regard qui croit voir, il se mêle de n’importe quoi, et passe son temps à dire : ceci est ceci et cela est cela. Mais en ceci et cela que voit-il au juste ? Il ne voit rien. Il s’y voit avec les yeux de la horde (d’adoption ou d’origine) qui l’a façonné et lui a transmis une part de sa vision. Quand il prétend s’y voir avec ses propres yeux, c’est par orgueil ou ignorance, car il ne peut s’y voir avec ses propres yeux sans sombrer dans l’incommunicable et se marginaliser. Regardez-moi tous ces regardeurs et tous ces savants citer les squelettes des cimetières oubliées pour octroyer un peu de conviction à leurs gesticulations plus que douteuses et amender le présent. Doutez, doutez du passé, doutez de l’avenir, doutez du présent surtout où paroles et grognements sont indistincts. On grogne différemment selon qu’on se rattrape sur le foin ou le grain pour se nourrir. Il y a des déserts de rocailles et de sables, des déserts d’eau et de glace et des déserts humains qui sont les plus lugubres. Inventeurs de déserts et inventeurs d’oasis logent à la même enseigne, souvent dans de vieux caravansérails en pisé brûlé par le soleil ou des auberges que fouettent des froids des époques glaciaires, s’accoutrent d’effets achetés aux mêmes marchands, fréquentent les mêmes lieux de plaisirs et se partagent les mêmes femmes et hommes plus au moins distinctement. Allez donc les distinguer, vous qui cherchez à féliciter les uns et à admonester les autres. Que de gens passent leur temps à paver le futur de choses et d’autres comme s’ils leur appartenaient, à peaufiner la vérité comme si elle leur avait été donnée ! Alors que ce ne sont que des misérables qui prennent leur propre misère pour un trône en or massive tout en ignorant que l’or et le trône sont les deux symboles, les deux armoiries éternels de la misère, de toutes les misères, surtout de celles du cœur et de l’âme.

Ni on ne l’écoutait, ni on ne le comprenait le plus souvent et il lui ne s’en souciait pas. Parfois comme pour détromper ceux qui pourrait voir dans son attitude de la suffisance et du mépris, on le voyait hocher sa tête pendant longtemps de gauche à droite en signe de non avant de commencer à dire comme à lui-même et à voix haute : « Non, je ne commande pas aux vents. Ils s’engouffrent partout où ils ne rencontrent pas d’obstacles et rebroussent chemin de partout où ils en rencontrent. Si je veux être écouté, je n’ai qu’à m’adresser aux arbres et aux pierres, car ils sont tout écoute et nos bavardages ne les ennuient pas. Si je veux être compris, je n’ai qu’à m’adresser aux animaux qui se satisfont d’un destin quasiment scellé et ne se montrent pas plus intelligents qu’ils ne le sont ».

Il avait trimé dans sa vie pour en arriver là et donner cette impression de celui que rien n’indispose et rien n’enchante, placide et à la révolte sourde. Il était toujours par monts et par vaux, toujours en route vers une destination inconnue. Il allait d’un pays à un autre et dormait à la bonne étoile, dans les hammams, les cafés, les fondouks, les lieux de culte et de charité…. Il débattait de ses idées avec les gueux comme avec les sultans, avec les sages comme avec les fous, avec les débauchés, les voleurs, les escrocs amateurs ou professionnels comme avec les savants qu’il séparait entre les vrais, savants qui étaient conscients de l’ampleur de leur ignorance et les faux, savants qui tentaient d’éblouir les autres par leurs connaissances. Il avait rencontré des guerres et des fléaux auxquels il n’avait jamais osé tourner le dos, non pas par courage ou autre valeur de ce type, mais parce qu’il croyait que c’était son destin et que c’étaient des épreuves qu’il ne devrait pas fuir. Il n’était pas un guerrier assoiffé de sang, de conquête et de vengeance. Il était seulement taraudé par le pourquoi des choses dont il avait fait son unique bataille, une bataille d’ailleurs que, de son propre aveu, il avait perdue.

Il se mariait un jour et divorçait quelques jours ou quelques mois plus tard, toujours avec la même femme qu’il lui était resté fidèle sans promesses et sans serments. Il divorçait avec elle lorsqu’il la quittait pour lui rendre sa liberté et se remariait avec elle à son retour, parfois après plusieurs années. Ce n’était pas un jeu auquel ils s’adonnaient par consentement mutuel, mais un comportement que leur dictaient le respect qu’ils avaient l’un envers l’autre et la confiance qu’ils avaient dans le sort pour le laisser œuvrer à sa guise. Ils nommaient le sort le jouet du temps (laâbatou azzamane) comme si le temps était une personne qui, par oisiveté, avait inventé le sort pour jouer avec. Ils étaient modestes et comme toutes les personnes modestes, ils avaient tendance à simplifier et à personnifier choses et êtres, contrairement aux aspirants à la puissance qui, eux, ont plus fréquemment tendance à tout chosifier et à tout complexifier faussement pour se démarquer. Leur vie commune n’avait rien d’une idylle répétée, mais elle tenait la route avec tout ce qu’une route pouvait offrir comme enchantements et désenchantements. Cette situation arrangeait bien sa femme qui avait une connaissance encyclopédique (large comme la mer, disait-on) des plantes médicinales et s’occupait à soigner et à conseiller tous ceux qui la sollicitaient avec un grand dévouement. Elle ne se plaignait jamais. Et en sa présence, les malades les plus mal au point se sentaient soulagés et reprenaient vie. Elle n’avait pas eu d’enfant, mais tous les enfants de la tribu étaient les siens en les soignant et en ayant toujours sous la main quelque chose à leur offrir. Elle était de ces femmes qui inspirent beaucoup de respect et qui nous marquent à jamais.

Je ne regrette rien, car pour regretter, il faut avoir choisi. Personne ne choisit le monde dans lequel il atterrit. Il le trouve là, fait, dressé comme un décor de scène dans lequel il doit jouer. De choix, il n’a que le choix de jouer. Bien ou mal, cela va dépendre des acteurs avec qui il va le faire et de ses propres prédispositions à comprendre, à se comprendre et à se faire comprendre, des hasards des rencontres, de son audace et de la bonne étoile. Si donc il n’y a rien à regretter, il reste à souhaiter, à vouloir et à croire au meilleur. Le meilleur n’est ni donné ni évident. Il est toujours à guetter, à chercher, et requiert une pensée libre qui, à son tour, n’est ni donnée ni évidente et combien difficile à acquérir. Et la boucle est bouclée. Oui, je souhaite qu’à l’avenir, les gens aient moins à se soucier de l'air du temps, des cosmétiques et du miroir. Édentés ou avec toutes leurs dents, qu’ils se prennent pour des lions et des lionnes. Que le sourire soit blanc, jaune ou noir, qu’il soit toujours éclatant et dans toute sa splendeur comme lorsque les yeux s’y mettent et lui prêtent leur lumière ! Oui, si je me retourne, c’est pour continuer à regarder là-bas au loin ce qui s’approche. Ce qui demeure de vrai au centre de la rose, de la fécondation in vitro, dans le clonage de nos têtes gavées de stress et de fatigues aux noms d’oiseaux marins qui se font piéger par des marées noires. La graine et la pierre se parlent, l’une avec la flexibilité de son germe, l’autre avec la dureté et la rugosité de sa surface, et s’étreignent sans jamais s’entendre, mais elles restent complices pour la plupart du temps. Le soleil n'est jamais plus beau qu’à son coucher ou lever, c'est-à-dire lorsqu’il s'éloigne ou il s'approche. Il reçoit sa beauté de la magie de l'horizon sur lequel nous jetons nos plaintes et contemplons pointer l'avenir qui inquiète et rassure comme un fruit défendu qui attire et repousse.

J’aime parler du vert des rizières et du doré des épis de blé et de maïs. J’aime raconter les visages de l’enfance barbouillés de glaise, la gestuelle des vagabonds sur les routes poussiéreuses que des guerres innommables ont rendus sourds aux chants des oiseaux. Raconter le geste désespéré de la main qui cherche à retenir l’irréparable de se réaliser, à contenir la faille annonçant la rupture imminente, et intercède vainement pour la colmater avec des matériaux hétéroclites et sans résistance avérée. La faille : la faille blessure, la faille du doute, la faille des dissemblances et des ressemblances, la faille du début et la fin…. J’aime raconter les étoiles filantes de l’été, les odeurs du basilic et des fleurs de jasmin. Raconter les robes de coton imprimées de motifs floraux dont se joue le vent pour chatouiller les jambes des jeunes filles en fleurs ou en pleurs le jour fatidique de leur rentrée au royaume des femmes. Raconter la brise marine et ses conciliabules avec les branches des pins maritimes. Raconter le soleil, l’eau, le vent, les verts, les azurs et les ocres, éléments qui bénissent, purifient de la tête aux pieds et apprennent l‘abc de l’humilité à tous ceux qui leur vouent respect et reconnaissance en voyant en eux le génie supérieur d’un créateur inaccessible.

On revient toujours de loin, même si on n’est jamais aller nulle part. On revient de soi-même l’air contrit, l’âme à la dérive et l’impression que le vide est l’unique objet concret qu’on sait retenir entre les mains et dont on peut jouir à satiété en dernier lieu.

Je me souviens de mes amours qui ont été nombreux (es) et sans commune mesure avec ce qu’on acquiert en batailleur, en conquérant ou en accapareur ne lésinant pas sur les moyens pour arriver à ses fins. Ils m’étaient parvenus en dons et inspirés par tout ce que la délicatesse, la ligne, la simplicité et la fragilité rehaussent de leur prestige. L’amour le plus grand n’a que l’équivalence d’une caresse de vent. Et justement, c’est en cela qu’il est grand. Lorsqu’il dépasse la caresse du vent pour épouser la forme d’une étreinte, il devient immense, immense et insupportable au-delà de la mort. Au-delà de la souffrance, état où la vie est restituée à la matière. L’amour est le retour de ce qu’on donne et qu’on sait attraper au vol ou après-coup. Voir une femme épanouie et bien dans sa peau marcher dans une rue et remarquer que sa présence l’irradie et la montre belle et sécurisante, c’est de l’amour qui se donne des ailes et se suffit à lui-même. Futile et petit, c’est ce qui le rend indispensable. Comme tout ce qui prend sens prend vie et inversement, du moins en nous, mes amours palpitaient comme des cœurs. Leurs battements étaient puissants mais ils ont cessé de se faire entendre et de me parvenir. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être, par déception fille imaginaire de l’attente stérile (?). Par ennui ou par besoin de répit et besoin de s’interroger (?). Toujours est-il que je continue à les différencier les uns des autres par leurs silences distinctifs malgré les flots lumineux des villes et leur brouhaha. Malgré le grondement des nouvelles qui congestionnent les supports et les réseaux divers avant de s’en aller mourir derrière des montagnes de publicité. Des montagnes qui arrivent jusqu’aux portes des maisons et empêchent les voisins de se voir. Ce qui pousse parfois à la révolte et provoque l'impression qu’en dehors de vendre et acheter, il n'y a point de salut. À défaut, tuer ou se faire tuer. Monde à part, monde d’ici. Monde d'hier, monde d’aujourd’hui. On vous ment lorsqu’on vous dit et zézaye que le monde a changé. Il s’est seulement adapté à la quantité et aux besoins de la tricherie. Chic, class, super, génial, sold, summum, extra, fou, dingue, top, méga, maxi, max, géant, génial, fabuleux, du jamais vu, hyper, hot, full-hot, big, high, high-tech, fine, extraordinaire, indétrônable, fantastique, numéro un, meilleur, incomparable, imbattable, tendance,… : condiments pour saupoudrer n’importe quoi, n’importe quelle futilité, n’importe quel tralala et le mettre au goût du jour.

Nous ne nous offusquons plus de rien. Parmi tout ce qui nous distingue le mieux, le tam-tam et ses rythmes endiablés émergent du lot et se démarquent comme la constante la plus stable du fondement de notre réalité. En apparence, et seulement en apparence, des efforts énormes de mémoire sont consentis. Nous ne pouvons plus compter le nombre de commémorations, de mémoriaux, de festivités et la foultitude d'activités dont la finalité avouée est d’entretenir la mémoire. Mais à la fin, c’est le douk-douk du tam-tam qui revient s’installer en nous plus pour nous disculper que pour s’en souvenir. Pardi ! Nous sommes occupés. Nous avons des affaires à régler, des citadelles à défendre, des empires à consolider, un croûton de pain à gagner. Le même engendre le même dans ses fondements. Répétition. Come-back.

Face aux ruines et à la désolation, il n’est de meilleure consolation que de voir, revoir ce feu qui brûle, consume les forêts, les constellations et va se figer dans l’absolu d’un regard furtif, direct d’une femme. Un regard qui transperce, subjugue, invite à succomber à la tentation de s’anéantir en lui et se rétracte aussitôt, s’efface et laisse place au ciel pourpré de l’avènement fissible, dérisoire parce qu’inestimable : la vie. Puis advient le poème qui ni ne se dit ni ne s’écrit mais se fait en se réclamant de La futilité de faire du nébuleux une destination, de l’attente un périple, d’une impasse un ciel et de la course une étoile….

L’homme est en pure perte apparemment. Son embarras, c’est de ne pas savoir s’il vit pour lui-même, pour une volonté supérieure ou quelque chose d’autre qu’il n’arrive pas à comprendre, à cerner. Pour justifier ses actes, aucun artifice ne lui répugne. Il dit agir avec le cœur et la tête. Mais chez lui plus que chez n’importe quel vil animal opportuniste et omnivore, c’est le ventre et les yeux qui l’emportent. De plus, là où il passe, il ne sème que déséquilibre et désarroi en s’efforçant de tout remodeler à son image. Une image qu’il confond avec le premier simulacre qui le séduit. Il peine à s’expliquer ses propres agissements, mais toujours prompt à élaborer d’inconcevables théories sur d’inconcevables sujets. Comme d’ailleurs il peine à s’expliquer les comportements de certains de ses semblables qui refusent de porter des œillères et de se soumettre aux consensus et codes de la majorité qui se les fait imposer par une minorité agissante et par des truchements simples mais illisibles à cause des supercheries dans lesquelles elle les emballe.

Ces mêmes gens qui refusent de porter des œillères ou préfèrent avoir leurs propres œillères ne trouvent rien de mieux à faire que de se retirer pour tenir une scène et jouer aux empêcheurs de tourner en rond. Mais très vite, ils sont rejoint par des hordes qui font semblants de jouer aux empêcheurs de tourner en rond et les font éclipser. Faire semblant : paraître pour être au lieu d’être pour paraître comme c’est le cas des choses et de nombreux animaux dont le camouflage même constitue un élément de leur identité. Ces faux empêcheurs de tourner en rond ne peuvent concrètement empêcher personne de le faire et surtout pas une masse d’individus subjuguée et contrôlée par ce qu’elle croit être son salut. Alors, ils se choisissent des rôles d’empêcheurs moins ardus et faciles à endosser comme celui d’empêcheur de dormir debout, de mourir idiot, de se noyer dans une tasse d’eau, de s’empâter d’étroitesse. D’avoir l’index toujours dressé, de ronfler sous la boursouflure, de considérer les bouts de ses orteils début et fin de l’univers. De cracher bruyamment, de parler par euphémisme, de manger coucher, de regarder imbécile. De déclarer son pouce merveille du monde, d’être un fruste et un parangon de vertu, d’être un porteur de cravate qui se pend avec, un porteur de turban qui s’étrangle avec. D’être le dernier de la course et le meilleur de tous, d’être la plus laide de l’univers et fière de l’être. De se moucher sur son avant-bras, de pleurer sur le sort des étoiles que l’homme veut conquérir, de marcher nu dans les rues à sa guise comme si on était seul sur terre, de s’habiller court ou long…. Ou des rôles classiques comme celui de trouble-fête, d’importun public, d'objecteur de conscience, de contestateur, d'anticonformiste, de bouffon, de saltimbanque, de troubadour, de fakir , de flatteur, de hâbleur, de barde, de luron, de dandy, de bateleur, de palabreur, de fouineur éhonté, d’accoucheur d’idées infertiles, de regardeur de biais des choses biaisées, de réparateur de torts entortillés, de brodeur de joliesses. De décrotteur de cerveaux ankylosés, de fanatique éclectique, de faiseur d’opinions, d’inventeur de concepts aseptisés et de théories phagocytaires du bon et du mauvais sens, de poule pondeuse de peurs et d’idées anthropophagiques. D’inséminateur de folies pour une reproduction sélective, de baveur public, d’exciseur de luette, prépuce, clitoris, urètre, de castreur d’ADN et de gènes, de vulgarisateur de la vulgarité. De fraiseur d'éthique, de montreur de cauchemars, de promoteur d’allants et de vigueurs, de constructeur de frissons, de carreleur de cerveaux. De briquetier d’âmes, de plombier de la sexualité, de démolisseur d’espoirs, de canaille volatile, de camelot de peaux de souris, de vendeur de causes, de fou du roi, d’amuseur d’imbéciles, de stratège en course des puces, de crâneur…. C’est tel qu’il y a toujours plus de rôles que de personnes pouvant les tenir. Évidemment, ils passent inaperçus ou ne sont pas pris au sérieux. Lorsqu’ils parviennent contre vents et marées à se faire un nom, on s’empresse à les enterrer ou à les récupérer. On ne récupère que ceux jugés meilleurs ou plus émérites que par la suite on encensera à toute occasion pour ce qu’ils représentent. Non pas pour eux-mêmes et ce qu’ils ont été ou sont mais pour la galerie et le marché des dupes. Bien sûr que la sincérité, la bonne volonté, l’esprit critique et l’attitude avenante ne sont pas complètement absents. Bien sûr que le sérieux et le sens du devoir ne sont pas feints, c’est que l’homme se prend les pieds dans les filets de ses mensonges sans se rendre compte. C’est qu’il est à plaindre et qu’il ne peut mieux. Contraint ou pris au jeu d’une supériorité acquise sur la nature le long des millénaires et qui n’en finit plus de lui monter à la tête et de le griser au risque de lui faire perdre le contact de ses pieds avec la terre, il persiste à gesticuler au mieux des finalités qu’il s'invente ou que lui dictent ses ambitions et besoins.

Il arrive que, de temps en temps, quelqu’un ou quelques uns se lèvent et clament : s’amuser pour s’amuser autant s’amuser vraiment. Alors, ils prennent des airs posé et réfléchis, se donnent des attitudes de sauveurs, s'assurent de la complicité du plus grand nombre, à défaut de son silence et déclenchent un cataclysme. Un de plus qui disparaît aussitôt sous les décombres d’un nouveau ou du même sous une nouvelle forme que d’autres malins ont vite fait de mettre en œuvre. Même lorsqu’il s’agit de s’amuser, on s’amuse comme on peut. On n'est jamais content des jouets qu’on possède. On veut des jouets de plus en plus perfectionnés et performants, type bombe atomique ou de types chirurgicaux et discrets qui tuent soi-disant « qui il faut » et détruisent « ce qu’il faut ». Pour jouer, il est préférable que cela soit sous la protection d’un adulte responsable et bien intentionné, en l’occurrence Dieu ou quelqu’un, quelque chose de proche. Tous, convaincus que Dieu est le Dieu de tout le monde, mais chacun se figure qu’il doit être son protégé. Sa cause est la sienne, ses intérêts conformes aux siens. Son rôle est d’être son représentant, et que tel ou tel prophète est seul à détenir la clé de la vérité tout en figeant son message pour l’intégrer à sa propre caverne secrète dont il est impossible de démêler les écheveaux, de trancher entre une spiritualité sincère tournée vers l’équilibre de soi et les dards des avidités hargneuses. On invoque Dieu (ou ce qu’on met à sa place) pour lui faire endosser ce qu’on ne peut endosser sans se faire trahir à soi-même. À ce rôle, tout le monde s’y prête en tapinois dans la confusion des collisions d’intérêts inavouables et des incompréhensions, qu’on soit athée, fervent croyant, néophyte, prosélyte, agnostique, nihiliste, stoïcien…. Matérialiste (au sens philosophique), existentialiste, absolutiste, métaphysicien, sophiste, bouddhiste, brahmaniste, hindouiste, scientiste, constructiviste, déconstructivistes, cartésien, relativiste créationniste, évolutionniste…. Animiste, platonicien, marxiste, hégélien, dialecticien, nietzschéen, darwinien, aristotélicien, pythagoricien, épicurien, adepte de Confucius, de Socrate ou adepte de l’absurde, du soufisme…. Ibn-rochdiste*, ghazaliste*…. Khabziste*, surviviste*, boutadiste*…. Membre de secte, gourou, démocrate, dictateur, nimportequoitiste, etc. !

Des doctrines dont on se réclame, il est rare qu’on les dépasse, rare qu’on les rende plus intelligibles et rare qu’on arrive à saisir leurs limites, leurs redondances et à quoi, réellement, renvoient leurs verdicts. On se satisfait souvent d’en faire du prêt-à-penser pour camoufler l’indigence de nos propres pensées. On croit penser, alors qu’on ne fait que s’enliser dans le fatras des apparats et des accessoires qu’on invente.

Puisque c’est ainsi, normalement personne n’aurait à se plaindre de la pratique du « rentre-lui dedans » qui devrait d’ailleurs être proclamée loi universelle et inscrite sur toutes les constitutions de tous les pays du monde. Quoique implicitement elle y soit inscrite par l’existence même des états nations, des tribus modernes aux membres chromés et à la propagande tous azimuts et filtrante.

Certes, des valeurs supérieures, indéniablement justes existent en abondance, mais il est rare que la réalité leur réserve une parcelle d’espace suffisante à leur ancrage et renforcement.

Seul, abandonné à sa légende, le Dromadaire ne doute pas. Il me prend la parole et me laisse coi. Il fonce droit devant lui, droit vers les murailles des mirages. Droit vers les espaces rédempteurs des éternels charivaris des charniers et des veines jugulaires rompues par les assouvissements démentiels des orgueils. Droit vers la fusion entre les contraires, entre les points cardinaux des souffles en suspensions dans l’éther. Droit vers la fusion entre ce que charrient les argiles dans l’élan de leur reconstitution ou de leur dissémination et ce qui se volatilise en cambrures, vociférations, abjurations et oblige, force la vivacité tellurique à se décaler vers l’arrière et céder sa place à l’incompressible, aux jeux de dés, aux indélicatesses des mises à l’index.

Il ne s’y connaît pas en jongleries des désapprobations, en fourberies des regards récalcitrants et scélérats. En obstinations, en méfiances, en désirs détachables à collectionner comme des timbres-poste, en sentiments rédhibitoires à refiler au premier venu, au premier tombé des nues.

Il traverse sa propre vie et lorsqu’il traverse le désert, c’est celui de l’homme qui le lui impose. Celui de sa domestication, de sa perte de liberté. Celui de sa soumission. Quel désert ! Un désert où l’on ne meurt moins de soif que d’humiliation, moins de la faim que de l’indigestion de ne susciter d’intérêt que tant qu’on reste taillable et corvéable à merci. Il connaît les dessous des nippes, la numération en signes cosmiques, les écueils, les cariatides aveugles qui le narguent dans son sommeil, l’horloge des pierres*. En fait, toutes les astuces de survie en milieu aride. Il connaît la forme de l’ineffable et la force de fascination des mirages. Le vrai désert ne lui fait pas peur, car du combat contre l’hostilité des éléments, on en tire de la fierté à revendre et du grain de sable à qui on va se mêler un jour, on en tire un grand sentiment de liberté. On se sent invincible et séditieux prêt à envoyer paître tous les potentats et leurs prétentieux quarterons. Il sait la nouvelle, la bonne comme la mauvaise. Il sait qu’il est de toute évidence difficile d’admettre la fatalité à moins d’être forcé et qu’il demeure en outre toujours possible de la contourner, ne serait-ce, par des subterfuges. De la fatalité le fatalisme : ce vin des vaincus, ce limon des défaites, des oppressions sans gloires, ce vomi des tyrannies de petits maîtres sans envergures, sans panaches, sans vision d’avenir, mesquins, traîtres.

Devant des horizons bouchés et sous des cieux bas portés, comme des toitures sur des piliers, par les sommets des montagnes environnantes, montagnes de préjugés, d’insolences sourdes ou criardes, la parole, ne pouvant ni s’étendre ni s’élever, s’engourdit et se recroqueville sur elle-même dans un commun douillet. Au chaud sous la formule anesthésiante. Le voile des sujétions et des servitudes tombe pour voiler aux regards ce qui ne doit pas se voir et dévoiler les surenchères sur le rôle de la femme que lui sculptent les règnes et les nécessités dans des simagrées au burin des platitudes. Dévoiler par des fentes spécialement conçues les horreurs cachées du passé, entassées dans des mémoires disloquées par les tremblements désastreux et successifs de l’histoire qui ne leur laissent jamais le temps de faire le deuil, le mea-culpa. De faire preuve de discernement, d’agencer, régenter les événements selon des perspectives possibles et positives.

Du coup, du ressentiment dédaigneux avilissant de soi à la glorification, au mimétisme, à la reconnaissance pavlovienne de l’autre, on passe tant que l’autre manifeste des signes d’un semblant d’ouverture. Signes feints ou sincères, on s’abstient d'en savoir trop comme de s’en faire trop de tracas. Mais à la moindre attitude de rejet ou d’indifférence de celui-ci, l’inverse se produit et se fait suivre d’une négation sans appel de ce qui l’identifie et le distingue en lui opposant une identité qui se nourrit et se valorise par la mise en exergue des dissemblances, soient-elles folles, archaïques ou anachroniques, Qu’importe ! On habite l’irrationnel avec juste une petite fenêtre sur le rationnel. Tout au plus, l’être humain n’est qu’un fanatique du parallélisme, un asservi du rapport et de la comparaison. Il se prend pour la mesure suprême et évite de se compromettre entre-temps. Il se promène partout avec des prétextes, des croyances, des esquives mentales, des esquisses de tous genres retouchées et triturées jusqu’à l’usure et des miroirs influençables et sensibles aux fluctuations des humeurs. Échaudé par l’inattendu, il se surcharge de précautions. Sa démarche est oppositionnelle, suspicieuse et opère par distinction entre le général qui est lui et le particulier qui est l’autre. Son grand ennemi, c’est l’autre lui-même (ou la part de l’autre en lui) qui l’intrigue parce qu’il lui échappe. Il a beaucoup de mal à investir le rapport de sa confiance comme il lui arrive de le faire avec l’entité qu’il a intégrée.

N’exagérons pas ! Il possède quand même beaucoup de qualités et un grand trait de génie en sa capacité à construire des langages rigoureux et évolutifs qui lui permettent d’interpréter, d’expliquer, d’expérimenter son monde sans répit et d’en tirer profit. Avec lui, l’enfer et le paradis se côtoient. La monstruosité est de son invention, l’amour aussi dans la mesure où il ne s’arrête jamais de les définir et redéfinir, mû par d’étranges élans. Il ne sort d'une aliénation que pour rentrer dans une autre. Il aime vivre en troupeau, mais il doit toujours réapprendre comment. Il ne possède aucune discipline d'instinct, seulement la platitude de ses habitudes individuelles ou collectives. Il fait pitié par ses petitesses lorsqu’il les élève au rang de grandes valeurs qui le révèlent paradoxalement à sa propre nature de rapace gauche parce qu’il ne se l'avoue pas. Il se caresse le nombril avec de grands idéaux, mais ne peut se débarrasser de ses lâchetés parce qu’il ignore ou oublie que toute action finit par s'inscrire dans un contexte qui dépasse les intentions, soient-elles des plus éclairées.

Il n'aime pas qu’on parle de lui de cette manière. Venant d'un dromadaire, c'est une insulte à sa puissance et à la haute idée qu’il se fait de lui-même. Je sollicite son indulgence et le prie de prendre les choses avec humour, une qualité qui lui est propre et lui sied bien, paraît-il.

Dans ma tête, il se passe des choses, beaucoup de choses qui m’effrayent et m’inquiètent, mais je me dis : qu’importe, on ne meurt qu’une fois ! Quand il y a une tempête, il faut essayer de se mettre à l’abri et attendre qu’elle se calme. S’il se trouve qu’on n'a aucun choix, aucune possibilité autre que celle de l’affronter, alors il faut le faire avec dignité. Car la dignité est le dernier, l’unique, l’inestimable trésor qu’on doit conserver, défendre jusqu’à ce qu’on le remette en main propre à son propriétaire : le dernier souffle de notre vie.

Il est vrai que j’ai l’air niais d’un anachorète qui a perdu son chemin. Nonchalant, insensible au beau comme au laid, croient certains. Rebutant pour ceux qui ne me connaissent pas bien. Presque inutile depuis qu’existent des véhicules tout terrain, des hélicoptères et des machines de toutes sortes qui fonctionnent avec des carburants fossiles et autres : énergie hydraulique, solaire, éolienne…. Il n’est pas simple d’être un dromadaire de nos jours. Enfin, de tout temps.

Pour simplement vivre, il faut être un téméraire qui n’aime être ni maître ni esclave. Sinon, on finit esclave d’un timoré dans la peau d’un plus timoré. D’ailleurs, c’est triste à en pleurer et étrange de se rendre à l’évidence, et de constater l’ampleur des capacités de nuisances de l’homme, particulièrement envers lui-même. C’est à se demander s’il est vraiment intelligent. Je crois qu’il ne fait que se bercer d’une illusion. Plutôt si, mais seulement il n’a pas l’intelligence de son intelligence, celle qui lui permettrait de mieux s’en servir. Ce qui revient à lui demander de se dépasser, d’abandonner aux vestiaires ses atavismes, ses atchoum culturels, ses grincements de dents et le fond de chaudron bouillonnant de sa tête.

Non, ce n’est pas possible. Ce ne sont là que des contorsions cérébrales d’un dromadaire. Je l’admets. Je ne vais pas le nier, mais convenez-en avec moi que le comportement humain est d’une incohérence émouvante. On le voit pérorer sur la paix et en même temps se préparer à la guerre. Clamer sur tous les tons de bonnes intentions et les fouler aux pieds ensuite. Crier à la justice et s’agripper à son bras pour la faire balancer de son côté. Il rejette le meurtre, mais les raisons ne lui ont jamais manqué pour en commettre de nouveau, encore de nouveau. Il s’entoure de lois, d’interdits, de dogmes, de tabous, de règles, de principes et d’une batterie d’autres choses pour se donner une ligne de conduite dans la vie. Mais il ne s’y conforme jamais tout à fait, sous le joug de la contrainte ou pas.

Je suis fasciné par les humbles traces de la multitude qui refrènent la visibilité des motivations, rendent aléatoires les horizons et décomposent les certitudes. En tout lieu, m’interpellent l’absence et la présence des personnes que j’y croise. Tout voltige autour de moi : les départs, les retours, les venues, les disparitions, les gageures des fixations, les rubriques des incantations, les tribunes des nombrils, les colonnes des halètements, les marécages des sentences, les files des attentes….

Pour rester humain, on se jette de son propre gré dans le verbe. Le petit verbe et non le grand Verbe qui échappe à l'entendement et pour lequel seuls les orgueilleux et les filous nourrissent des prétentions, cela s’entend. Le petit verbe dans lequel on est toujours à l'étroit et qu’il faut constamment modifier, agrandir, fortifier, embellir, détruire pour le reconstruire au besoin pour un minimum vital d'espace. Au cas limite, pourquoi ne pas agir comme ce potier qui reprenait indéfiniment le même ouvrage en lui donnant des formes différentes, à la recherche de la forme idéale qu’il savait ne jamais obtenir, mais ne se décourageait pas pour autant. La satisfaction éphémère d'admirer les formes auxquelles ses mains donnaient naissance lui suffisait pour entretenir son illusion. Des membres de sa corporation lui rendaient visite et s'inspiraient de ses trouvailles pour diversifier, enrichir leur production et s'attirer plus de clients. Ils le traitaient de fou et il les traitait pareillement, à la différence que lui admettait qu’il convient à chacun d'avoir sa folie et qu’aucune n'est meilleure que l'autre. Ceux qui s’y opposent, jaugent le monde à l’aune ou au kilomètre de leurs servilités.

Car de ce qui est ou n’est pas. De ce en qui, en quoi on croit ou l’on ne croit pas. De ce qui est vrai ou faux, seul le silex, en tant qu’outil et arme, renseigne par l’idée d’en avoir fait un prolongement de la main, donc accessible à nos sens primaires que très peu de gens dépassent.

De ce pas, je vous invite à faire un voyage avec moi à dos d’un dromadaire dont le confort est plutôt rude et dont la notion d’espace, après avoir été déchiquetée par les météorites, s’est reconstituée autour d’une mémoire. Elle aussi, en lambeau, traînée dans la boue, défigurée, et qui remonte au temps où les hommes parlaient d’eux-mêmes à travers les animaux et leur attribuaient leurs propres intentions parce qu’ils se frayaient d’égaux à égaux dans leurs combats pour la survie. Il faut s’attendre à emprunter une version scabreuse et entortillée de chemins qui naissent et meurent dans le néant. Et dont les traces sur des espaces géographiques ne sont que des dépôts de sel qui disparaissent aussi vite qu’ils apparaissent, et témoignent des dérives multiples des existences. Un voyage sur les routes des mots partout où ça s’esclaffe, ça s’éclabousse, ça s’éclate, ça se libère, ça détone, ça trinque ça trime et ça bat la chamade. À travers le flou, les visions de haute voltige, les angoisses, les peurs, les démagogies, les sacerdoces, les inaptitudes, les calomnies, les idées coffrées, les quintessences, les doutes, les rituels sardoniques, les faciès à la mode, les emphases, les prétentions excessives. Partout où la méfiance est de mise contre ce qui dorlote et séduit. Partout où subsiste encore ce qui décoiffe, déstabilise, décape, désarçonne, décuple exagère fouette, cravache, crache, vomit, vampe, abhorre, casse, creuse, conspue. Et ce qui se dérobe, s’arc-boute, se tord le cou, se dilate la rate, s’expose, s’étrangle, s’indigne, se démène, se casse les reins, s’accroche…mais se démonte à la moindre certitude qui n’est pas broutille. Car toute certitude est précaire même si on en a besoin comme un estropié a besoin de béquilles ou de prothèses.

À l’idée d’imaginer tout ce qui a été écrit, publié ou tout ce qui continue à s’écrire sous forme de livres, de journaux, de correspondances diverses, de lettres, de communications scientifiques, d’écrits ésotériques, de discours, de prêches, de rabâchages d’idées zinzins et tueuses de toute étincelle de rêve, c’est renversant, vertigineux, à donner le tournis, à rendre aphone.

Peut-on se lancer encore dans l’écriture sans hésiter ? Reste-t-il des choses à dire ? La terre continue à tourner et nos têtes d’oursins mal embaumés, manière d’épargner celles des turques (tête de turque comme on dit tête de mule), suivent à la queue leu-leu selon la fortune, la naissance, la largeur des épaules, le tour de taille, du crâne ou le tour de poitrine.

Donc… comme c’est beau l’esprit déductif. Didactiquement parlant, je peux vous renverser un seau de fétidités sur la tête par déduction. Je n’aime pas la couleur de votre peau et votre façon de vous tenir debout, donc…. Donc, pourquoi pas, on peut continuer à écrire. Indéfiniment, sujet et objet culbutent et s’abîment dans l’effarante jungle des actes et des faits avec qui aucune fiction n’est capable de coller corps à corps. Forme et contenu : apparence et réalité. Besoin de distinguer : besoin de voir claire. Artifices et chimères : misère de ne pas pouvoir se rendre à l’autre bout des choses, pénétrer dedans, prendre la bestiole dite vérité de la main et dire : « Je la tiens, la voilà ! » Subterfuges et fatuités : arrérages perpétuels à payer à on ne sait qui ou quoi, au néant peut être. Il va falloir – aveu d’impuissance – sommer la visibilité de se dénuder, de s’effeuiller, de se débarrasser de ses plus infimes attraits dupeurs… ! Et une fois rendue à cette extrémité là, on saurait ensuite si vraiment elle pouvait encore intéresser beaucoup de monde. À la même occasion, on saurait différencier entre les choses et à chacune, attribuer une mesure appropriée. À l’encontre de l’indifférence qui n’est dans sa superbe que devant l’abominable, ni la sérénité, ni l’objectivité ne font le poids, la sérénité s’avère une incongruité et l’objectivité un attrape-nigaud. C’est la tendance (ou ce vers quoi convergent les regards et capte l’attention) qui l’emporte. La tendance actuelle est au nivellement à hauteur des tubes cathodiques, des écrans à plasma, à cristaux liquides où stick à lèvre, patchouli et meurtre se combinent en un seul, unique et permanent spectacle. Les raisons ? Quelle question ! Il y en a à la pelle et elles ont toujours été là.

Au départ fut la lumière, si départ y avait eu. Si le Big-bang avait eu lieu, la lumière l’avait vraisemblablement anticipé. Qui dit que la lumière n’est pas la dimension qui intègre toutes les dimensions ? Le temps est le secret de la lumière le mieux gardé. On coule en nous-mêmes. Tout, en tout état de cause, commence à la fin bien avant le début et fait que le temps se déroule en boucles, en spirale, en oscillations rectilignes comme pendu à un ressort, en escalier aux marches inégales incluant des ruptures. Parfois il s’éteint complètement et s’éloigne vers les limites de l’univers, vers avant le commencement. Parfois il s’enroule en boule, recueille et enferme l’extension de l’éternité, sa signification, sa manifestation à notre intelligence qui en fait partie. La lumière est tout. En lui faisant face, elle nous aveugle. En lui tournant le dos, elle nous met face à notre devenir projeté comme une ombre là devant nous. Et auquel nous avons du mal à nous identifier sans le justifier par ce qui nous a précédés et que nous appelons communément culture, histoire, héritage ou tradition.

On trouvera mon langage un peu obscur, mais c’est moins par choix que par besoin de renouer avec une tradition disparue. On trouvera que je suis mauvaise langue, que je mélange les genres, que je bavarde trop et m’improvise en redresseur des torts. Et que j’égratigne tout le monde sur mon passage sans vergogne. Il n’y a rien de bien malveillant, si l’on met cela sur le compte de l’esprit frondeur d’un Dromadaire à qui, habituellement, on ne demande pas de faire le beau mais de transporter des charges. Et à sa belle de donner du lait et de faire des petits en plus.

Du temps de la tradition disparue, on considérait « que nul n’est mauvais ou méchant, il est ou prisonnier ou habité par ses démons (pulsions) ». Parmi ses démons, on incluait la faim, la soif et le manque d’attention. Quand on rencontrait un étranger (toute personne dont on ne savait rien sur le moment), on lui proposait à manger. Si on n’avait pas de quoi manger, on lui proposait à boire. Si on n’avait pas de quoi boire, on lui racontait une histoire. L’ordre n’est pas anodin, car s’il y a à manger, il y a à boire. Dieu a fourni l’abondance et la disponibilité des choses selon leur importance, l’air, l’eau, ensuite la nourriture. Pour les rationalistes à la rationalité chatouilleuse, la nature établit ses équilibres sur la disponibilité des éléments et l’importance des échanges qui se font entre eux. L’idéal est d’offrir le manger, le boire et l’histoire, les trois à la fois. À défaut, au moins l’une de ces trois choses qui aident la personne à qui on les offre à contenir et à conserver son contrôle sur ses démons les plus grondants pour qu’ils ne fassent pas d’elle leur prisonnière, si déjà elle ne l’est. Nous disons tous bonjour négligemment en oubliant qu’il est le résidu d’une petite histoire, d’un petit poème d’un temps pas bien lointain, qu’on récitait ou improvisait sur le moment selon le talent et l’inspiration : « Matin de bonté, de roses épanouies ; matin de santé et de rêves fleuris / que le soleil te suive et te bénisse, et que tes pensées d’espoir soient nourries. Fleurs d’amandiers accueillant la rosée, tels doivent être tes yeux ouverts à la vie. / Port impérial et fier de ta destinée, que rien ne te fasse trébucher, ami ! »

Pour une raison ou une autre, on s’exprimait aussi par des signes gestuels. On levait le bras, on agitait la main et on la ramenait au cœur : « De tout mon cœur, Dieu te protège ! »

On ne se gênait pas d’avouer qu’on racontait la même histoire depuis la nuit du temps. Et qu’on ne faisait que qualifier les choses, replacer protagonistes et antagonistes, héros et personnages, et changer les décors. On ne se gargarisait ni de l’originalité, ni du génie. L’originalité et le génie sont ceux de l’homme tout sexe et tout âge confondu dans ce qu’il est le meilleur et dans ce qu’il est le pire. Dans ce qu’il est la montagne au sommet le plus haut presque toujours dans les nuages et dans ce qu’il est la boue que charrie le ruisseau. Dans ce qu’il est l’arbre de tous les espoirs des plus sages aux plus fous et dans ce qu’il est la honte de lui-même qu’il dissimule sous des airs de triomphe.

Pour le malheureux, on lui servait une histoire épicée de tristesse, de tensions, d’intrigues désespérées, et d’un zeste d’espoir ne se manifestant qu’en arrière goût : thérapie de choc. Pour la laide, la négligée, une histoire sur le modèle de celle du prince que ses parents ont puni en le mariant à une bossue. Une bossue qu’il a aimée avec passion et tellement qu’il s’est réveillé un beau matin, à n’en croire ses yeux, à coté de la plus belle femme de tout le royaume de son père – L’amour rend belle, rend beau. Ou de celle de la bergère sur qui personne n’ose lever le regard et, qu’un jour, un prince prend dans son palais, demande à ses domestiques de la délivrer de ses hardes, de lui faire prendre des bains et de l’habiller comme une princesse et découvre une femme qui, depuis, on ne jure que par sa beauté. Pour l’amoureux éconduit, on lui servait une histoire sur le modèle de celle du prince transformé en grenouille, en âne ou en singe en attente du baiser, de la voix ou de la caresse qui le ressuscitera, ou de celle du berger courageux qui, après maintes péripéties, finit par séduire une princesse. C’est selon qu’on visait à le soulager de l’infortune physique ou de celle de sa condition. Pour une âme en peine, on lui servait un récit où les chicanes et les ruses d’une belle-mère et de sa belle-fille sont rehaussées de détails croustillants, et où le héros est capable de tout ce qu’un être ordinaire désire et qu’il ne peut assouvir. Ou bien, des aventures de méchants et de bons assaisonnées de liaisons amoureuses où la vengeance se déguste chaude – il n’y a que les teigneux qu’il l’aime froide – et la passion tue sans décernement. Pour le curieux et n’importe qui en mal de n’importe quoi, de l’exotique, de l’exotique, de l’exotique, tout ce qui peut l’amener loin sans le dépayser. Bien que l’exotique ne soit jamais loin, c’est parfois à deux pas de chez soi, on le préfère d’ailleurs pour lui greffer ses fantasmes sans se sentir ridicule. L’exotique autorise à généraliser à partir d’un fait sans être pris en défaut. Les détails, les saveurs, la consistance, les arômes, les finesses de présentation, les rebondissements, les surprises, les suspenses dépendent des capacités d’improvisation et de la générosité du conteur.

On ne s’aventurait que peu dans l’érotisme pur de peur de ne pas pouvoir l’élever à la hauteur de celui des fleurs et des plantes, réputé le sommet des sommets :

« Danses joyeuses et exubérantes des couleurs. Magnificence et délicatesse des pétales, des formes. Bourdonnements des insectes, chants mystérieux des parfums. Enivrements des plantes qui se courbent et caressent les vents, avant de leur offrir des baisers à transporter au lointain et à les distribuer à d’autres plantes en ententes. Voix diaphanes des sèves grimpant les cimes et crissements des feuilles enlaçant les mille lumières des matins. Tant et tant de rêves que la nature confie au soleil à son réveil et qu’on voit virevolter et former d’immenses rondes concentriques. Et la femme ! Ne dites pas la femme mais l’arborescence. L’unique, l’inclassable arborescence dont s’inspirent toutes les plantes et l’imitent. Celle qui donne leurs noms aux printemps et les fait sortir de leur anonymat. Lorsque le destin ne l’a pas trop ébranchée, la femme frétille de toutes ses corolles en autant de mystères que recueille le ciel en gerbe de soupirs ardents. »

On était intarissable au point qu’il était préférable de ne pas aborder ce sujet si l’on tenait à ne pas mourir asphyxier sous des montagnes et des montagnes d’un verbiage léger comme du duvet, mais dont la quantité finissait par peser. L’excès de verbiage était une chose banale à une époque où les mots étaient presque le seul support des images dont l’emploi pour exciter l’imaginaire, le développer, meubler le temps et échapper à l’ennui était et reste un impératif de la vie. L’imaginaire, évidemment, se nourrit d’images et travaille les émotions de l’intérieur. Les mots ont cette faculté de ne pas lui servir des images crues et figées mais l’aident à se faire des images vivantes et ouvertes à l’enrichissement en lui fournissant des clés et en lui indiquant des pistes. Il ne prend pas, il se fait des images qu’il s’approprie et fait siennes. Je garde beaucoup de respect et une grande admiration à ces faiseurs d’images par les mots, qu’ils offraient avec exaltation et une certaine ferveur religieuse. Leurs images et leurs histoires les trahissaient parfois, et n’obtenaient pas toujours les résultats escomptés. Je me souviens de cette enfant qui avait une chèvre qui s’appelait Latachetée à cause d’une tache blanche sur le front. Il l’aimait au point de la faire dormir avec lui malgré les protestations de ses parents qui avaient fini par céder. Nourri aux histoires des faiseurs d’images par les mots, il était fasciné par une chèvre qui approvisionnait en eau un saint qui vivait juché sur le sommet d’une montagne aride et rocheuse que même les oiseaux évitaient de survoler tellement il était désolé. Elle lui ramenait de l’eau dans sa robe qu’elle avait ôtée et en avait fait une outre. Elle avait le pouvoir de voler dans les airs et d’entendre la voix du saint qui l’appelait pour lui chercher de l’eau depuis une autre montagne où poussait de l’herbe en abondance et où vivaient toutes les chèvres en liberté. Elle était pudique. Pour que le saint ne la voie pas nue, elle posait l’outre pleine d’eau à la rentrée de la grotte où il habitait et la récupérait au même endroit une fois vide. Le saint, tout occupé à ses dévotions, ignorait qu’elle utilisait sa propre robe, sa propre peau pour lui apporter de l’eau. Il y’avait d’autres animaux aussi qui le servaient. Un rapace qui lui apportait dans ses griffes de la viande et des peaux d’animaux pour s’habiller, un singe qui lui apportait des fruits dans un panier en osier que lui-même avait tressé et un pigeon qui lui apportait des graines dans son jabot. Mais cette chèvre était la seule à se sacrifier en s’arrachant la peau pour le servir. Les autres chèvres s’étaient montrées intraitables envers elle. Elles se moquaient de sa nudité et la tenaient à l’écart. Hilares et cruelles, elles lui assénaient des pointes acérées qu’elle supportait stoïquement : « Perdre sa peau et vivre écorché vive, c’est la récompense qu’on reçoit lorsqu’on n’a pas de cervelle et qu’on s’attache aux frasques d’un saint. De plus débile, on n’en trouvera pas. Tiens donc ! On vend sa peau pour sauver son âme, quelle foi, quel sens du sacrifice ! On se croit plus intelligente et on s’empresse à rejoindre le paradis avant toutes les autres. On offre sa chair aux asticots avant l’heure, quelle générosité ! » Elles lui exprimaient tant de malveillance qu’elles avaient fini par attirer sur elles la colère de Dieu. Elles avaient été condamnées à la domestication et à se faire tuer et écorcher par les hommes pour manger leur viande et fabriquer des outres avec leurs peaux. C’était une histoire par laquelle on justifiait aux enfants pourquoi on mangeait la viande des chèvres et pourquoi on fabriquait des outres avec leurs peaux. L’enfant à la chèvre ne l’entendait pas de cette oreille et avait décidé que toutes les chèvres étaient les descendantes de la chèvre qui était au service du saint et que toutes les méchantes chèvres avaient été dévorées par les loups. Désormais, on ne devrait plus les tuer, ni manger leur viande ni fabriquer avec leurs peaux des outres. Vœu d’enfant, vœu de poète.

Chapitre : 2.

De la part d’un dromadaire qui a toutes les peines du monde à se lancer dans une course et toutes les peines du monde à s’arrêter une fois en piste ; il est curieux qu’il s’attarde sur une tradition disparue, peut-on se demander avec justesse ? C’est du fait qu’on y offrait des histoires comme on offrait à manger ; et que, dans ces histoires, il y avait beaucoup de savoir plein d’évidences comme celle à laquelle se rend le nourrisson en se mettant goulûment à téter le sein de sa maman. Et du fait que certains côtés de cette tradition étaient fascinants et singuliers. La censure était élevée au rang de vertu, mais c’était une autre censure que celle d’aujourd’hui qui est celle des charognards se disputant une dépouille. On connaissait des vérités, des grandes vérités qu’on ne pouvait même pas confier aux montagnes sans les voir se désagréger et tomber en poussière, ce qui aurait fait de la terre un crâne chauve. Censurées, ces grandes vérités ne purent filtrer jusqu’à la postérité sous aucune forme. « Légende, légende que tout ça ! », diriez-vous assurément. Si vous étiez leur contemporain et que vous leur ayez fait la même remarque, on vous aurait répondu : « Arracher à l’humain sa part de légende, le voilà différent et plus un humain. Le voilà piégé et pendu par les pieds par le même mystère qu’il voulait percer. Ce qui change ne change pas au mieux et ce qui reste en état ne le reste pas au mieux. Là est le dilemme. Là sont le jour et la nuit ».

On avait de l’humour. Trop même ! On avait fait du rire un devoir. On riait qu’importe le motif et les fous qui riaient seuls, ne passaient plus pour des fous. On avait élaboré aussi une méthode pour mesurer le quotient intellectuel (Q. I.) ou la capacité d’une personne à sortir du cercle de l’autre qui se résumait à une seule question : « Si vous n’êtes ni pessimiste ni optimiste, vous êtes un imbécile ; si vous êtes pessimiste, un double imbécile et si vous êtes optimiste, un triple imbécile. Comment faut-il être pour ne pas être un imbécile ? » Si vous répondez : « Il n’y a pas moyen et dans tous les cas, on est un imbécile. » C’est que vous l’êtes vraiment. Mais si vous répondez : « Il faut être sourd, ainsi on aura ni à entendre cette question ni à être pris pour un imbécile. » Cela prouve que vous ne l’êtes pas et que vous ne vous laissez pas prendre dans le cercle ou la logique de l’autre. Si vous y êtes pris et que cela ne vous convient pas, brisez ce cercle ou cette logique, et sortez. Les rapports humains sont bâtis sur qui prendra l’autre dans son cercle. Ce qui donne tout son importance à cette question qu’on variait à l’infini pour l’effet de surprise et le résultat attendu.

On pensait que seul Dieu (ou la nature pour les affidés de la nature) dit parce qu’il est le maître du langage complet et parle par tout ce qu’il a crée. Les hommes ne peuvent donc qu’interpréter et répéter. Comme aucune interprétation n’est parfaite, que tout dépérit et que seule l’âme se conserve en se dérobant à la réalité palpable, le langage de l’insinuation (ce qui désigne et qui est beau) leur paraissait le mieux paré et le plus apte à atteindre l’âme sans la souillée et le cœur sans le blessé. En effet, si à beaucoup de maux le remède est dans la nourriture et les plantes, pour ceux de l’âme il est dans la parole. Et bizarrement le poison aussi. On s’était aperçu qu’entre le remède et le poison il n’existe pas de différence, si ce n’est dans la quantité ou le dosage. Le même poison peut tuer ou guérir et son effet s’écarte d’un individu à l’autre. De toutes les techniques courantes de l’insinuation, comme « ce que la raison peut imaginer mais ne peut soutenir» (la fable ou le fantastique), « ce qui dit sans le dire » (la parabole), « ce qui dit et enchante » (la poésie) et leurs différentes variantes, aucune n’était prisée, appréciée pour elle-même par les « gens du cercle » ou « ceux qui sont dans le secret du cercle ». Ils préféraient les combiner et les associer à une technique qu’on appelait « ce qui dit et dévoile et après avoir dévoilé, voile et dit. » Cette technique leur venait d’une conviction qu’ils étaient seuls à se partager en tant qu’initiés et que les non-initiés jugeaient loufoque et raillaient. Qu’est-ce que c’est cette bizarrerie qui dit, dévoile et voile, tout à la fois ? Ces « gens du cercle » n’avaient-ils pas trouvé moyen plus simple de s’exprimer, n’exagéraient-ils pas pour exagérer ? Étaient-ils incapables d’appeler une souris une souris ? Non, mille fois non ! Leur conviction ne reposait pas sur quelques sciences ésotériques, mais sur de simples observations qui leur faisaient voir la proximité et l’imbrication des choses comme des superpositions d’apparences, de juxtapositions et de liens rendant difficile de dévoiler quoi que ce soit sans le voiler de nouveau. Donc, pour mener à bien une opération de dévoilement, il est exigé de la poursuivre dans un sens jusqu’au bout et revenir ensuite dessus en sens inverse pour voiler ce qui a été dévoilé et dévoiler ce qui a été voilé. Apporter des nuances, des contrastes (antithèses) appropriés, des faits évalués, définir des concepts, formuler des hypothèses, analyser, décortiquer son sujet dira-t-on aujourd’hui en simplifiant. Ce n’est pas que les nuances et les contrastes appropriés soient la panacée de quoi que ce soit. C’est pour tendre vers un but où toucher à la vérité, c’est toucher à la beauté, à l’éclosion, et s’en séparer. N’en ont besoin de retenir la vérité, la beauté, et même le mensonge que leurs assassins. Ils les tuent et jubilent en lançant à leurs admirateurs : « Jouissez de vos malheurs, c’est l’unique vérité », et à leurs ennemis qui ne le sont même pas : « Souffrez de vos malheurs, vous le méritez. » Le mensonge n’est pas toujours le monstre qu’on s’imagine, il peut être l’habit qui vous fait paraître avant d’être celui qui couvre votre nudité, préserve votre pudeur et vous défend contre l’inclémence du froid et du chaud. La vérité présente des visages bien plus effrayants, tellement horribles à solidifier l’air et à pétrifier le sang qu’elle coure vite en emprunter au mensonge de moins hideux, de moins compromettants et insupportables. Ils étaient persuadés que sous tout mensonge il y a une vérité et sous toute vérité un mensonge. À leurs yeux, s’attaquer au mensonge pour débusquer la vérité était peine perdue, mieux valait s’attaquer à la vérité, ou telle qu’elle paraît, pour débusquer le mensonge et rentrer en accord avec le monde en divers mouvements cycliques et en devenir.

Sans les « gens du cercle », la tradition disparue aurait été une tradition commune comme toutes les traditions avec leurs sinistres flagorneurs de rois, de princes et de nababs, et leurs damnés rasant les murs et murmurant leurs aspirations aux chauves-souris vampires qui s’emparaient de leurs têtes et de leurs pensées après avoir dévoré leurs rêves.

Ils avaient comme règle sur les relations sans distinctions avec qui ou quoi : trois fois la discrétion, répéter trois fois ce qu’on dit, rester à trois pas ou à trois bras de tout ce qu’on aborde. S’agissant des relations humaines, ce troisième volet sur la distance n’était valable qu’en temps de paix. En temps de guerre, la distance était amenée à la portée de la flèche ennemie. De trois bras et plus, la distance est celle de la confrontation, l’entretien et la distinction. Moins de trois bras, c’est celle d’un rapport étroit et de complicité. Ce qui veut dire que, lors d’une rencontre d’une personne avec une autre, avant tout conciliabule, pendant et après, on a un bras chacun d’espace à soi et un bras de no man’s land (espace de déférence) à respecter. La relation est maintenue telle tant qu’il n’y a pas eu d’accord consenti (tacite ou explicite) pour en faire une relation étroite.

Avec les choses, cette distance est une invitation à faire l’état des lieux avant d’entreprendre quoi que ce soit.

Avec les animaux, c’est pour s’assurer de leurs états de santé, de leurs humeurs et situations avant de décider de l’attitude à prendre à leurs égards.

Avec les choses de l’esprit, c’est une distance critique nécessaire pour garder un jugement et une vue indépendante. Un temps pour s’en remettre si on a été sous le charme ou s’en imprégner, un temps pour bien comprendre et un temps pour s’en faire une idée précise et complète. C’est une distance plus symbolique que concrète, qui intègre les trois espaces : physique, temporel et comportemental.

La distance de la portée d’une flèche peut faire sourire à l’ère des fusées intercontinentales et d’armes à feux de toute puissance et toute portée. Autres temps, autres considérations. Ils auraient probablement conseillé de se mettre à trois planètes de la planète terre ou de se coller à son ennemi, s’ils étaient instruits sur ce que serait le futur. Au juste, ces « gens du cercle », comme tout le monde, racontaient des histoires mais d’un genre différent, ils les voulaient intelligentes et capables de répandre l’harmonie. Ils s’occupaient à établir les calendriers et à intervenir dans les conflits les plus disparates. Par leurs rôles, ils se trouvèrent au centre de cette tradition disparue ses artisans au départ et ses fossoyeurs à la fin quoique après plusieurs et plusieurs générations. Les premiers « gens du cercle » n’étaient pas naïfs, ils savaient que tout meilleur n’est qu’une réplique de la rose qui pousse sur un monticule de fumier et que leurs successeurs, un jour ou l’autre, les trahiraient.

Répéter trois fois ce qu’on dit, c’est donner trois chances à un interlocuteur d’entendre ce qu’on lui dit. S’il est distrait et a l’esprit ailleurs, la première fois lui permettra de se ressaisir et d’être plus attentif à la deuxième fois. Si à la troisième fois il ne répond pas, c’est qu’il est sourd, parle une autre langue ou bien il ne veut rien entendre. Et d’une manière générale, on ne doit rien affirmer si on ne l’a pas vérifié à trois reprises au moins et par trois sources ou trois voix différentes.

Trois fois la discrétion : tout le mal qu’on se fait à soi ou qu’on fait aux autres est souvent le produit d’indiscrétions (vraies ou fausses.) « L’indiscrétion est la seule « vertu » des commères, elles en disent tellement trop que personne ne les croit », rappelaient-ils pour plaisanter et pour souligner aussi combien la discrétion valorise la parole. La discrétion est un certain regard et par tout ce qu’on regarde, on s’implique forcément. Être discret, c’est porter son regard sur ce qui vaut la peine, montre, tourmente et délivre. De ce qu’on a à dire, s’en assurer qu’il n’aura pas des répercussions néfastes ni sur soi-même ni sur autrui ni sur la collectivité. Et s’en assurer qu’il vise à instruire, à sustenter les débats, et à dénoncer les dérives criminelles et les débordements nihilistes et irréversibles.

On leur rirait volontiers aux nez avec leurs histoires à répandre l’harmonie dans un monde aussi agiter que le nôtre avec des énergumènes qui se démènent et mènent une ronde trépidante à toute âme qui vive. Leur monde n’était pas le calme plat, il leur semblait agité et difficile avec ses contingents d’heurs et de malheurs. Il survient que, pour deux réalités différentes, la même vision persiste.

Qu’on ne se figure pas qu’ils composaient un clan, un cercle, une société, un groupe ou un club de philosophes ou savants aux nez crochus plongés dans des manuscrits hermétiques, aux barbes hirsutes et blanches compensant la maigreur de leurs joues ! Ou aux barbes clairsemées tombant en pointes et balayant des manuscrits en papyrus qu’ils consultaient à la lueur de torches à la résine, enfermés dans des lieux obscurs et retirés, des bibliothèques de châteaux en nid d’aigle sur des monts inaccessibles ! Ils étaient ordinaires et vivaient de leurs travails ou de leurs biens par choix délibéré et pour ne dépendre de personne. Ils s’interposaient dans les conflits et litiges et offraient leurs bons offices pour les aplanir. Activité qui leur faisait inspirer respect et crainte puisque ni la menace de mort ni la tentation matérielle n’avaient d’influence sur eux. Qu’est-ce que c’est une menace de mort, une tentation matérielle face à l’acte regrettable de commettre une injustice sciemment et en toute impunité ? « La vie ne se négocie pas. Elles se payent avec une monnaie unique et à un prix unique : la dignité l’astre de toutes les libertés. La dignité, c’est l’âme humaine même. L’âme morte, qu’a-t-on à sauvegarder ? Une carcasse juste bonne à céder aux vautours. Ne peuplons pas la terre de carcasses, les carcasses ne sauront se nommer, et que serons-nous donc ? » Répétaient-ils constamment sans se soucier de l’opportunité de leurs propos.

On pourrait avancer que c’étaient des moralistes fourbes qui exploitaient la naïveté populaire et sentaient le benjoin à des lieues à la ronde. Tant s’en faut, ils ne correspondaient pas à ce stéréotype. De nombreuses personnes se croyant licencieuses, irrévérencieuses et libertines tombaient à la renverse devant leur désinvolture en faisant leur connaissance.

Ils ne se dressaient ni contre le vice ni contre la vertu : « Même les yeux fermés, en tâtonnant seulement avec ses mains, on peut sentir la rudesse de l’orgueil et la rigidité de la prétention dans ce qu’on approuve et nomme vertu ; et sentir la faiblesse, l’aboulie, la détresse, le rejet, la dénégation, la folie, le dérèglement, l’insociabilité… dans ce qu’on réprouve et nomme vice. »

Ils persévéraient encore dans cette même approche en renvoyant dos à dos ceux qui prétendaient connaître le mal et le bien, donc capables de se situer dedans et de les désigner séparément avec certitude, et ceux qui croyaient qu’ils étaient en dehors du mal et du bien et n’avaient donc de comptes à rendre à personne. Et ce, en leur disant : « Dans un cas comme dans l’autre, c’est plus que de l’arrogance, c’est de la démence. Se croire capables de se situer au-dedans du mal et du bien et de les désigner avec certitude, c’est croire qu’on peut être joueur et arbitre ou plaignant et juge sans être tenté de tricher, de biaiser en toute innocence. Se croire en dehors du mal et du bien tout en entretenant des relations avec l’autre, c’est prendre celui-ci pour un déchet et lui afficher en pleine face un mépris qui avilit et tue. Le mal et le bien ne relèvent que d’une appréciation des rapports humains et ne sont qu’accessoires. Cessons de faire de fuir notre but avec des individus fuyant chacun vers sa solitude et ses ressacs et des communautés fuyant vers leurs grandes folies. Drôle de destin ! Être tendu vers sa fin en la fuyant en fuyant vers elle ».

Pendant un certain temps, ils avaient cru pouvoir revendiquer par ces deux arguments la part du milieu, ce qui leur avaient valu plutôt d’avoir plus d’ennemis qu’ils ne pouvaient supporter. Cependant, ils n’ignoraient pas « qu’en essayant de sauver quelqu’un d’une noyade, on risque de se noyer avec lui et en blessant quelqu’un dans son orgueil, on risque de déclencher ses foudres ».

Par la suite, sans renier ces deux arguments, ils s’en étaient éloignés.

Car une dure et amère expérience attend ceux qui se voient capables de survivre longtemps dans la voie du milieu, la voie du centre. Les « gens du cercle » l’avaient essayée et ils n’en avaient tiré que la plus grande confusion et une part de cynisme qui les avait aidés à comprendre dans quel marécage ils s’étaient aventurés, et s’extirper enfin après d’énormes efforts. Toutes les idées, pensées, théories… qu’ils se faisaient sur le milieu en tant que centre ou lieu des partages et des compromis heureux s’étaient révélées fausses. Car, ce qu’ils prenaient pour milieu n’en était pas un ou il en était un, mais c’est celui immuable et lieu de toutes les compromissions que les extrêmes génèrent pour ne pas s’anéantir ou par nécessité de se ménager des espaces d’expansions. Une fois leur amertume bue jusqu’à la lie, ils s’étaient mis à la recherche d’un autre milieu ou centre qui favoriserait le compromis, accouchement douloureux mais incontournable, et qui défavoriserait la compromission, un croisement contre-nature et funeste. Après de longs errements et beaucoup de spéculations oiseuses, ils avaient été bien obligés de remiser aux calendes grecques ou au trente sixième jour du mois leur espoir de trouver ce milieu. Si ce milieu existait, il ne devrait exister que dans le rapport entier ou l’ensemble des rapports qui sont en rapport entre eux. Étant donné que tout est en rapport avec tout, considérer un ensemble de rapports comme étant en rapport et exclure les autres comme n’étant pas en rapport, c’est opérer par choix et tout choix est subjectif (animal). Et c’est, en même temps, mettre cet ensemble de rapports dans un cercle ou une sphère et l’extraire du grand cercle ou la grande sphère où tout est en rapport avec tout, qui est le seul vrai rapport entier. Et dont on ignore toujours extrêmement plus qu’on en connaît. Ils se voulaient partisans de ce grand cercle, c’est pour ce qu’ils se nommaient « gens du cercle ».

Dans leur langage, ils présentaient les choses avec plus de simplicité, mais moins accessibles que ne les laissait voir cette simplicité :

«Dis-moi ce qui de l’homme est poussière, de la poussière est argile, de l’argile est étoile, de l’étoile est poisson, du poisson est oiseau, de l’oiseau est herbe, de l’herbe est arbre, de l’arbre est pierre, de la pierre est lichen, du lichen est insecte, de l’insecte est air, de l’air est terre, de la terre est soleil, du soleil est univers, de l’univers est ver, du ver est vert, du vert est feuillage, du feuillage est pommier, du pommier est homme, de l’homme est chemin, du chemin est départ, du départ est arrivée, de l’arrivée est espoir, de l’espoir est mort, de la mort est vie, de la vie est eau, de l’eau est poisson, du poisson est aliment, de l’aliment est chair, de la chair est fer, du fer est rêve, du rêve est fleur, de la fleur est abeille, de l’abeille est pollen, du pollen est miel, du miel est sucre, du sucre est sang, du sang est volonté, de la volonté est travail, du travail est sueur, de la sueur est sperme, du sperme est femme, de la femme est homme, de l’homme est cheveu, du cheveu est ongle, de l’ongle est reine, de la reine est roi, du roi est excrément de mouette, de l’excrément de mouette est baleine, de la baleine est algue, de l’algue est ancêtre de l’homme, de l’ancêtre de l’homme est cerveau, du cerveau est caillou, du caillou est feu, du feu est eau, de l’eau est salive, de la salive est mensonge, du mensonge est vérité, de la vérité est divinité, de la divinité est guerrier, du guerrier est lion, du lion est lapin, du lapin est peur, de la peur est lâcheté, de la lâcheté est courage, du courage est crime, du crime est prénom, du prénom est nom, du nom est promiscuité, de la promiscuité est inceste, de l’inceste est larme, de la larme est océan, de l’océan est désert, du désert est grain, du grain est prostituée, de la prostituée est immoral, de l’immoral est moral, de la morale est viol, du viol est bête, de la bête est carré, du carré est méchant, du méchant est cuisse, de la cuisse est passion, de la passion est fureur, de la fureur est nation, de la nation est argent, de l’argent est crime, du crime est homme, de l’hommes est égalité, de l’égalité est inégalité, de l’inégalité est discours, du discours est langue, de la langue est dent, de la dent est émail, de l’émail est paix, de la paix est guerre, de la guerre est ambition, de l’ambition est sexe, du sexe est commerce, du commerce est vanité, de la vanité est orgie, de l’orgie est gratuité, de la gratuité est haine, de la haine est moule, du moule est mesure, de la mesure est égout, de l’égout est intestin, de l’intestin est science, de la science est mandibule, de la mandibule est sourire, du sourire est traîtrise, de la traîtrise est ventre, du ventre est évacuation, de l’évacuation est prison, de la prison est pendaison, de la pendaison est déraison, de la déraison est raison, de la raison est dissimulation, de la dissimulation est exhibition, de l’exhibition est monstre, du monstre est nature, de la nature est force, de la force est faiblesse, de la faiblesse est baiser, du baiser est étreinte, de l’étreinte est entente, de l’entente est déchirement, du déchirement est hymen, de l’hymen est appel, de l’appel est piège, du piège est délivrance, de la délivrance est dévastation, de la dévastation est cœur, du cœur est souffle, du souffle est incertitude, de l’incertitude est acte, de l’acte est négation, de la négation est affirmation, de l’affirmation est folie, de la folie est sagesse, de la sagesse est amour, de l’amour est faux, du faux est désir, du désir est malentendu, du malentendu est blessure, de la blessure est sexe de la femme, du sexe de la femme est fourreau, du fourreau est épée, de l’épée est tête coupée, de la tête coupée est souvenir, du souvenir est nostalgie, de la nostalgie est grossesse, de la grossesse est enfant, de l’enfant est père, du père est avenir, de l’avenir est mémoire, de la mémoire est fille, de la fille est garçon, du garçon est mère, de la mère est interdit, de l’interdit est transgression, de la transgression est cheval, du cheval est mulet, du mulet est âne, de l’âne est homme, de l’homme est femme… Dis-moi, dis-moi, dis-moi ce qui d’une chose est autre chose. Quand tu en auras fait le tour au complet sans rien omettre, rien oublier, juge et décrète, tu en auras connu assez pour t’arroger ce droit ».

J’en viens maintenant au stratagème qu’ils employaient pour se reposer de leurs histoires à répandre l’harmonie et pour décocher des flèches à qui en veut, en voici et à qui se croit à l’abri, en voilà. Ils avaient des flèches à réveiller les dormeurs, les somnolents incurables, des flèches à assommer des éléphants. Et des flèches empoisonnées à déjouer la vigilance des malveillants, à détourner l’attention des espions, des délateurs de l’ombre au service des amis du diable dont toutes les apparences plaident pour qu’on les adore, et jouent rarement contre eux. Les amis du diable s’en vont voler et manger des agneaux avec les loups et rejoignent après le berger pour pleurer avec lui. Ils sont les premiers à voir et à dénoncer le diable en tout et partout, et mettent les gens simples dans un malaise insoutenable pour le moindre geste qu’ils accomplissent. Les premiers à agresser et frapper et les premiers à se plaindre. Qu’ils aient faims et doivent te dévorer vivant, voilà que cela ne leur suffit pas ! Il faut encore qu’ils fassent de toi un mets délicieux avec ton consentement pour que tu ne jouisses pas de ce simple sentiment idiot et archaïque de les haïr. Ils reprochent aux autres tout ce qu’on risque de leur reprocher, et occupent ainsi le terrain de sorte qu’on n’a qu’à se cramponner au souhait de ne pas être leur cible. Ils ont le génie de se passer pour tout le monde et personne ou de se présenter comme des êtres au-dessus de tout soupçon comme s’il pouvait en exister. Tout est question d’image, de moule et de conditionnement, vain espoir de savoir qui sont-ils, quelles manœuvres vont-ils actionner et derrière quels arguments vont-ils se mettre à l’abri.

Le stratagème des «gens du cercle» était un usage dont ils ignoraient ou faisaient semblant d’ignorer comment il leur avait été parvenu et par qui, en premier, il avait été initié. Pareil à la plupart des usages, il était porté par une légende qui courait comme un bruit de fond et parlait d’un dromadaire qui revenait parmi les hommes de temps à autre. Un dromadaire qui était un homme que le chef de sa tribu avait chassé en lui jetant le sort d’un retour à l’état animal sans perdre sa mémoire pour les générations et les générations nécessaires à sa rédemption pour avoir osé défier sa tribu dans la vérité qui la fondait. Cette légende ne coulait pas spontanément des esprits comme toute légende, elle suintait péniblement. Il était impossible de réunir deux personnes d’accord sur la même version. Tout ce qui présente quelques complications et rode sur un terrain où avoisinent appréhensions vaporeuses et dangers sans objets, laisse ouverts les pores ou les portes à toutes les fantaisies d’interprétation. C’était avec acharnement que s’affrontaient ceux qui soutenaient que ce dromadaire avait gardé la parole et le chant et ceux qui soutenaient que depuis qu’il avait quitté sa tribu, il avait tout perdu, parole et chant. Sinon il n’aurait jamais senti le besoin de transformer le chant porté par la voix par le chant porté par le mouvement pour le transmettre aux autres dromadaires. Pour mettre tout le monde d’accord, un troisième groupe s’était formé en alléguant que ce dromadaire avait sûrement perdu la parole et le chant, mais il les retrouvait toutes les fois qu’il revenait parmi les hommes. Dans les faits, leur médiation contribuait plutôt à étendre la discorde qu’à la restreindre. Outre ces trois grandes tendances et leurs nombreuses ramifications qui n’étaient ni dénuées d’intérêts ni vierges des ingrédients qui soulèvent les passions, il y’avait ceux qui n’étaient captivés que par ce désir obsessionnel de savoir si ce dromadaire était émasculé. S’il demeurait très actif sexuellement, s’il était un étalon ; un mâle dominant, si ses femelles étaient des femmes ordinaires ou des femmes qui s’étaient changées en chamelles…. Ces curieux et passionnés de sa vie intime se recrutaient majoritairement parmi les femmes. Les hommes ne s’y intéressaient que peu, ils aimaient mieux le voir comme une créature asexuée ou sans sexe bien défini.

En période estivale, les «gens du cercle» se joignaient à des troupes de musique et de danse et partaient de contrée en contrée. Souvent, là où ils se rendaient, ils trouvaient que leur popularité les avait déjà devancés. Ils installaient une tante ronde divisée en deux espaces distincts par un rideau qui ne laissait rien voir d’un espace à l’autre. Dans un espace, ils installaient un dromadaire et dans l’autre espace, un par un, les gens rentraient et se confiaient au dromadaire derrière le rideau. La rumeur fonctionnait très bien et les gens accourraient en masse de partout. Ils venaient se confier au Dromadaire de la légende et écouter ses révélations truculentes, ses bobards et ses tirs sur des fausses cibles ou tirs par ricochet. Le Dromadaire ne répondait pas à chacun séparément, il écoutait seulement. À de rares occasions, lorsqu’il avait à faire à des personnes en détresse, il transgressait la règle et allait de ses conseils et mots de consolation. Quand tous ceux qui avaient eu à cœur de se confier l’avaient fait, on invitait tout le monde à se regrouper autour de la tente. Et le Dromadaire se mettait à parler. Il énumérait tous les sujets qu’il allait aborder avant de les passer l’un après l’autre au torrent de sa verve. Une verve tranchante qui coupait dans la cuirasse vive des préjugés, des bassesses, des mesquineries et des phantasmes stupides qu’on faisait endosser aux autres. Une verve hilarante qui broyait les monuments dédiés aux héros et les temples consacrés aux divinités. Paroles de Dromadaire, quel crédit leur accorder ? Alors, on se tordait de rire, on pleurait, on se tenait le ventre, on s’emportait, on souhaitait le tuer et on rentrait chez soi. D’où vient au Dromadaire cette verve qui captivait beaucoup et mortifiait beaucoup ? Un don ? Vivre et entendre ce qu’il vivait et entendait, le vraisemblable devient ce dont il faut douter et l’invraisemblable ce en quoi il faut croire. La verve suit. Le Dromadaire trichait ? Il trichait. Le Dromadaire se contredisait ? Il se contredisait. Le Dromadaire ne disait pas tout ? Il ne disait pas tout. « Il faut montrer les choses telles qu’elles sont », phrase souvent répétée, souvent entendue, mais que signifie-t-elle au juste ? Rien ! Il faut d’abord connaître les choses telles qu’elles sont pour pouvoir les montrer telles qu’elles sont. En les connaissant, si on n’est pas saisi de terreur et qu’on n’est pas devenu aphasique, on est saisi de la furie de les cacher. De les enterrer aux tréfonds de la terre pour qu’aucun volcan ou tremblement de terre ne les ramène en surface. Par ailleurs, le Dromadaire, après chaque intervention, terminait par « heureux et bénit soit le simple d’esprit, l’idiot est un saint. »

Mais ce qui retient l’attention et touche, ce n’est pas spécialement ce qui sort de l’ordinaire. Les simples propos d’un vieillard ou d’une bonne femme ne sont pas moins révélateurs et intrigants que tout autre propos.

Il y avait le cas de ce vieillard qui avait du mal à se déplacer et se tenait sur ses pieds presque par miracle. C’était un être que le temps avait marqué et buriné de l’intérieur comme de l’extérieur et qu’un remords tardif réveillait à son déclin. Il maugréait et parlait par intermittence. Il avait monologué une demi-matinée entière en présence du Dromadaire.

– « …Je suis vieux et dans dix ans je bouclerai le siècle. Esseulé, désœuvré, le temps me semble suspendu et attend de m’emporter avant de se remettre en marche. Je m’efforce à garder le peu de lucidité qui me reste, mais je n’en apprécie pas les moments. Je n’arrête pas de dérouler ma vie devant mes yeux et certains souvenirs m’assaillent avec une acuité telle que je perds la voie et sens mes yeux me brûler. J’ai envie de pleurer, je pleure mais mes yeux demeurent secs et me brûlent encore plus. J’ai peur du châtiment divin et j’avoue que j’ai commis des larcins et un crime que je ne peux même pas racheter. Je n’ai pas tué, mais j’ai honteusement escroqué mon frère. Pendant cinquante ans, année après année, je déplaçais les bornes de pierre qui délimitaient mon champ du sien d’un demi-empan (dix centimètres environs) sur une longueur de deux mille empans que courraient une dizaine de bornes. J’ai réussi à lui gruger vingt-cinq empans par deux mille empans de terre, soit cinquante mille empans carrés (deux mille mètres carrés ou vingt ares environ.) Ce qui me terrifie maintenant et que je n’arrive pas à m’expliquer, c’est moins mon geste que l’insouciance proche de l’invulnérabilité qui me bernait pendant que je commettais mon forfait. Je connaissais le châtiment qui attendait ceux qui agissaient de la sorte, mais je n’en faisais pas cas. Et comment faire cas d’un douteux et lointain châtiment qu’on ne recevrait qu’après une mort dont on n’admettait l’existence que par le bout des lèvres puisque tout ce qui est vie la rejette. Le châtiment lui-même me paraissait insensé. Porter sur son dos pour l’éternité toute la terre qu’on avait volée, quelle fadaise ! Mon frère est décédé depuis quelques années et il m’a laissé en héritage tous ses biens, car je suis le seul de ses héritiers à lui avoir survécu. Depuis sa mort, j’ai l’impression que c’était plutôt lui qui m’a escroqué et non pas moi. Je sens le poids de la terre entière peser sur mon dos qui se courbe chaque jour un peu plus et me fait souffrir. J’ai commencé à payer avant même de mourir. J’aurais voulu que mon frère me pardonne, mais l’occasion ne s’était jamais présentée…. » Il ponctuait ses phrases de : – « Ah ! Si ma femme, ma compagne, la prunelle de mes yeux vivait encore, je ne serais pas là à parler à un dromadaire. »

Et le cas de cette femme.

– « …Je suis une femme qui vit seule, sans mari ni enfants. Le destin, les circonstances en ont ainsi décidé. Je suis la fille unique d’un couple de paysans aujourd’hui morts. J’ai hérité de leur petit domaine en usufruit et d’un univers que je n’ai jamais quitté. Travailler la terre et m’occuper des animaux sont les seules choses que je sais faire depuis mon enfance. La propriété ne paye pas de mine, mais pour qui en prend soin, elle le lui rend au quintuple. Elle fait vivre au moins trois familles en dehors de moi. Je n’ai rien changé à la façon de travailler de mes parents et me fais toujours seconder par les mêmes personnes qui les secondaient de leur vivant. Ce sont un oncle maternel dont l’expérience m’est précieuse, deux cousins et leurs femmes. Les filles qui ne se marient pas très jeunes et restent célibataires longtemps comme moi, échappent rarement à leur destin de cible aux médisances. Surtout si elles sont belles et rangées. Les gens sains d’esprit ne prêtent pas attentions aux médisances et savent de quoi cela relève. Mais il y’a toujours des gens que cela excite et fait piaffer d’impatience d’assouvir une curiosité perverse. Personnellement, j’en ai eu ma part, mais rien de bien terrible. Depuis quelque temps, les choses ont pris une autre allure. C’est depuis que j’ai refusé à mon voisin de lui prêter mon taureau pour saillir ses vaches. Il y a quelques années, trois exactement, j’ai essuyé le même refus de lui pour le même service. Il trouve logique de refuser un service à une femme mais illogique pour une femme de refuser un service à un homme. Avec lui, les médisances sont passées de primitives à impensables. Il en invente et les répand sans honte et sans se gêner de leur invraisemblance. Il dit que je me suis rendue enceinte par mon taureau et que j’ai accouché d’un enfant à tête de veau. Il raconte qu’il a vu de ses propres yeux et compté une vingtaine d’hommes rentrer et sortir de chez moi en l’espace d’une nuit pour faire croire aux gens qu’une armée entière ne parviendrait pas à me satisfaire. Il en raconte à provoquer un déluge. J’approche de l’âge des vingt-cinq printemps. Je suis vieille*. Les rares prétendants qui prévoient m’approcher maintenant, n’oseront pas le faire à moins de se laisser traiter de sous-hommes. Ou d’hommes sans honneur…. »

Elle parlait doucement, en murmurant presque. Lentement en cherchant ses mots qui passaient à travers les doigts de sa main posée sur la bouche. Dignement en faisant très attention de ne pas rapporter dans toute leur crudité les propos qu’on propageait sur elle.

À la question « est-ce le Dromadaire qui écoutait et parlait ou est-ce l’un d’eux, qui le faisait en s’enfermant avec le Dromadaire ? », les « gens du cercle » répondaient évasivement pour congédier les gens à leurs occupations et en même temps la question : « Croit qui veut à ce qu’il veut, surcharger l’âne, l’intention est claire : c’est vouloir le tuer. ». Mais lorsqu’on s’obstinait auprès d’eux pour percer le fond de leurs pensées, ils se lançaient dans un jargon qui lassait les plus tenaces et les faisait fuir. – « Où commence où finit le cercle, celui qui le saurait, saurait donner réponse à tout. Tout est cercle dans cercle. Tout est sphère dans sphère. Des sphères tournent autour d’autres sphères, se percutent, fusionnent ou se disloquent. Des sphères absorbent d’autres sphères et grossissent, des sphères perdent des sphères et se réduisent. Elles s’attirent et se regroupent par affinité, se repoussent et se dispersent par répulsion. Chaque sphère est le début et la fin d’elle-même. Nous prêchons le début et la fin, nous prêchant l’équivoque (l’incertitude) auquel est attribué le nom de point, de cercle, de l’ellipse, de la sphère, de la bulle, de l’œuf, du corps, du sujet, de l’objet, du noumène, de la particule, de la chose en son opposé, de la force, de l’énergie ou de la matière…. Les gens du peuple appellent l’équivoque « C’est lui et ce n’est pas lui. » Nous prêchons le grand cercle, mais le cercle le plus petit qui soit est le cercle le plus grand qui soit et le cercle le plus grand qui soit est le cercle le petit qui soit. Tout attire tout pour faire partie d’un tout et tout résiste à tout pour ne pas faire partie d’un tout. Le grand cercle s’appelait Tout avant, c’est-à-dire plus tard il s’appellera Tout. Le Tout est ce qui se manifeste pour lui-même et par lui-même, et que nous cherchons ni à nier ni à affirmer. L’un et l’autre, nier ou affirmer déforme. Des limites du tout est du domaine de l’omniscient. Quant à nous, c’est de la partie que nous nous préoccupons, peut-être à tort, mais la partie aussi aspire à être un tout, ne serait-ce un petit tout d’elle-même. Nous affirmons une chose comme nous pouvons affirmer son contraire, nous jugeons que l’important n’est pas là. L’important …cherche-le par toi-même et juge par toi-même si ta sphère est ta tombe ou ton ciel. Mais l’important, en dehors de ta propre respiration, est un os qu’on jette à un chien. Si l’os te plait et te convient, dis-toi que tu es un chien et fier de l’être, il n’y a pas de mal à le reconnaître. Si l’os ne te plait pas, ne te sens pas diminuer de ne pas être un chien, tu es un autre animal aussi important sans ce besoin d’avoir un os à ronger. On nous accuse de mentir. Oui, nous mentons. Nous mentons à la lumière en lui disant que tu es la plus belle et la plus généreuse, sans toi, qu’aurions-nous su sur la beauté ? Nous mentons aux ténèbres en leur disant que vous avez beaucoup de tendresse et de délicatesse, sans vous, qui aurait pu contenir la beauté et l’empêcher de se dissoudre ? Qui aurait couvé la lumière pour l’attendrir et lui communiquer légèreté et grâce ? Nous prêchons le mensonge pour nous éviter de devenir les pires menteurs. Les pires menteurs sont ceux qui prêchent la vérité. Ils s’emmènent avec beaucoup d’instruments de mesure et des balances à peser le bien et le mal et te disent que tu es unique et inestimable. Mais ils ne te disent cette vérité que pour assoupir ta vigilance. Après, comme s’ils allaient t’annoncer un fait capital, ils ajoutent que tu ne connais pas ce qui te manque et que tu le côtoies sans le voir. Par contre, eux le voient et le connaissent bien grâce à leur flair et leur intelligence. Ils voient et connaissent le bonheur. Comme un enfant devant des objets curieux, ébahi, tu leur demandes : … à quoi tous ces instruments de mesure vous servent-ils ? … À mesurer les choses qui font le bonheur, te répondront-ils. Mais ce qu’ils ne te diront pas par ignorance ou ruse, c’est que les choses ne se mesurent pas et s’en moquent de la mesure, et que c’est toi qu’on mesure. Dés que tu acceptes d’êtres mesurés, c’en est fait de ta liberté, fait de ton unicité, fait de ton inestimabilité. Tu deviens une valeur quantifiable parmi d’autres valeurs quantifiables. Tu vaux tant, tu vaux un oignon ou moins d’un oignon, une besla, une panade. De toi, tu tombes dans la chose qui fait ton bonheur, et tu finis par ne plus savoir qui fait le bonheur de qui. Est-ce toi qui fais le bonheur de la chose et ce qu’elle incarne ou est-ce la chose qui fait ton bonheur ? On nous accuse de chercher à avoir raison. Ils nous prennent pour la bête, seule la bête a raison et seule la bête a gouverné et gouverne. La raison n’a jamais gouverné et celui qui prétend le contraire est un pire menteur. Pourtant nos légendes sont très anciennes et aucune ne témoigne du triomphe de la raison. Nos légendes témoignent seulement du triomphe de la Promesse. Nous prêchons la Promesse qui est ce que la raison ravit à la bête sans la tuer. Le monde a toujours été habitué aux cris de la bête au point d’en faire sa raison d’être. Nous tenons à ne pas décevoir le monde et nous veillons, nous aussi, sur la bête en l’entretenant bon gré mal gré. Le défaut de la raison est d’être précautionneuse et réservée, préventive et modérée, lente et impassible qu’elle ennuie même les moutons qui font la sieste et ruminent à l’ombre des arbres. Des moutons qui broutent, n’en parlons pas, ils ne l’entendent même pas. Une des grandes particularités de la bête est de n’avoir qu’une préoccupation : trouver le filon, le bon, celui qui la nourrit, et mordre dedans. La bête se défend bien et seule. Elle n’aime pas ceux qui la dérangent et dénoncent, elle les dévore si vite qu’ils ne s’en aperçoivent même pas. Nous n’aimons pas parler de la bête, non par peur, advienne que pourra, mais nous trouvons que c’est inutile. Nous en parlons quand même aux gens des chaumières pour leur donner du courage, pour les rassurer et leur assurer qu’ils n’ont aucune raison d’avoir peur d’elle ni de se sentir obligés de se soumettre à sa volonté, et que, par contre, ils doivent lui résister ou essayer de l’apprivoiser. Les partisans de la bête sont les pires menteurs. Ils s’établissent dans son ventre, se goinfrent à même sa nourriture, et disent qu’ils l’exècrent. Nous les comprenons et nous les plaignons aussi, car ils ont peur qu’elle les digère et les rejette avec ses excréments. Ce sont eux les utilisateurs des instruments de mesure et des balances à peser le bien et le mal. On nous accuse d’être les inventeurs de ses instruments de mesure et des balances. Vrai, mais nous les avons inventées pour le plaisir d’inventer et pour armer la raison. Le fait que ce soit la bête qui s’en accapare, n’est pas à mettre sur notre compte. Ce n’est pas de notre faute. Nous prêchons la Promesse. On nous accuse d’être des chasseurs et de défendre la pensée du chasseur contre celle du cueilleur de baie et de tubercule. Ils nous prêtent l’intention de vouloir tuer la bête. Faux ! Car même si nous le voulions, nous ne le pourrions. Ils veulent seulement faire de nous une bête capable de faire oublier la vraie bête aux gens du peuple qui paniquent en l’entendant ahaner et se goinfrer sans répit. Beaucoup de peuples sont arrivés à faire avec une part de la pensée du chasseur et une part de celle du cueilleur de bais et de tubercule une seule pensée. Et ces peuples ont été exterminés tous ou presque en les accusant de sauvages par d’autres peuples au sein desquels la pensée du cueilleur de baie et de tubercule a triomphé de celle du chasseur. C’est après que le cueilleur s’est changé en agriculteur, le chasseur en berger ou uniquement en chasseur de poisson (pêcheur), et que la nécessité d’échanger entre eux les produits a fait naître le marchand. Les marchands issus des agriculteurs et habitués à la fixité en un lieu ont créé le temple et la cité. Les marchands issus des bergers et habitués à la mobilité ont créé les caravanes et les échanges entre cités et peuples. Les marchands issus des chasseurs de poisson, habitués au risque et au danger, ont fendu les mers, ont gagné des contrées où ne pouvaient se rendre leurs concurrents marchands issus des bergers, et ont créé des comptoirs dont certains se sont érigés en cité. Mais tout cela s’est déroulé tambour battant sous la houlette de la bête. Nous parlons avec les doigts de la main par dessins aériens, nous parlons par la forme simplifiée pour agrandir ta vue et te permettre de voir loin. Le monde n’en a connu que deux grandes pensées durables et une myriade d’autres temporaires ou isolées. La pensée du chasseur dont a hérité principalement le berger et le chasseur de poisson, et la pensée du cueilleur dont a hérité l’agriculteur, ensuite le marchand « templier » qui l’a radicalement transformée. Le marchand « templier » emprunte à tout le monde ce qui l’intéresse, et il ne s’intéresse qu’à la forme génératrice d’autres formes transformant le temps en richesse qu’on peut vendre et acheter à son tour comme tout objet estimé de valeur ou utile. Le temps richesse est consenti par tous ceux qui conçoivent, créent, travaillent, produisent et fabriquent des biens. Ce temps richesse meurt du sommeil et vit de l’éveil. Il est condamné à l’éveil éternel sous les yeux exorbitants et envoûtants de la bête. Mais nous, nous prêchons la Promesse et nous veillons sur la bête. On nous accuse de manifester peu de volonté de changer le monde. Nous le voulons bien puisque nous prêchons la Promesse. La volonté ne nous manque pas. Ce qui nous manque, c’est un assommoir très puissant pour assommer la bête et l’envoyer dormir. Mais aucun démiurge (rabb) n’a trouvé ou pu fabriquer cet assommoir. Que pouvons-nous faire, nous qui ne sommes même pas des démiurges et prêchons seulement la Promesse ? On nous accuse d’ingrats, de gens qui manquent de savoir-vivre et mélangent l’ivraie avec le grain. Juste, nous sommes ingrats parce que nous cherchons très peu à plaire aux gens et à les endormir mais à les amuser intelligemment et à les tenir éveiller. Nous apprenons d’eux et nous leur rendons. De ce que nous leur rendons, ils ont le choix d’en tirer profit ou de le jeter aux orties. Ceux qui nous accusent d’ingrats sont ceux que nos grimaces n’amusent pas. Juste, nous manquons de savoir-vivre parce que nous n’encourageons pas les gens à imiter ce qu’ils ne sont pas eux-mêmes. À imiter ce qui va les engloutir ou qui va les attirer pour les enchaîner à jamais à la reproduction de la crédulité bienheureuse, la bouche ouverte et les yeux clos. Juste, nous mélangeons l’ivraie avec le grain parce que nous ne faisons pas de différence ni de similitude entre le maître et son esclave*, et que nous traitons d’un égard égal. Dans ce cas là, franchement, où est l’ivraie où est le grain ? L’esclave ne rêve que de liberté aussi longtemps qu’il refuse d’abdiquer devant la fatalité. De plus légitime et de plus sacré, on n’en trouvera pas ! Et le maître rêve d’acquérir toujours plus d’esclaves pour le servir et que ses esclaves continuent à lui obéir. Et tant qu’il le pourra, pourquoi pas ! Si c’est pour intervertir les rôles ou pour maintenir les choses en état, nous préférons regarder ailleurs. Et si à la franchise nous sommes tenus, notre réponse n’attendra pas de prendre une ride d’hésitation avant de tomber sèche et précise que nous préférons l’ivraie, l’esclave. Car il connaît l’abîme et sait en tirer gloire, connaît la nécessité et sait en tirer espoir, connaît la déshumanisation et sait la tenir à l’écart, voisine la bête de somme et résiste à lui ressembler. Il faut vraiment qu’il soit complètement abîmé pour lâcher bride et se laisser faire. Le maître, tout au contraire, uniquement de peur de se rabaisser au rang de son esclave, va prendre ses distances de tout ce qui le nomme et va le regarder d’en haut comme une tare, une noirceur. Si de l’esclave en générale et du maître grognon et engoncé dans son éternelle stupidité, on sait à quoi s’attendre, de l’esclave qui a perdu son âme, il n’y a rien à espérer. Il réagira à coup sûr de la façon contraire à celle qui semble toute naturelle qu’il réagisse. S’il s’élève au rang du maître, il imitera son ancien maître dans ce qu’il a été pire, car le pire, c’est ce qui marque le plus profondément et ce dont on se rappelle le plus aisément. C’est pourquoi nous disons : … fais du bien et oublie-le. Fais du mal et ne l’oublie jamais, car celui à qui tu as fait du mal ne l’oubliera jamais. S’il devient libre et reste livré à lui-même, il ne tardera pas à tomber sous la coupe du même ou d’un autre maître. Il ne suffit pas d’être libre, il faut réapprendre à l’être. C’est pourquoi nous ne lassons pas de rappeler : … il n’est guère utile de libérer l’âne à qui on a fait oublier l’herbe fraîche et l’eau des sources, pour une gerbe d’orge agitée au-dessus des narines, il retournera à son licou et son bât. Le maître n’est pas en reste avec l’esclave, il en est un qui s’ignore, et toujours obligé de se maquiller, de créer et d’entretenir la frustration pour exister. On nous accuse de crime contre le goût. Le goût, c’est le lieu des réflexes et des habitudes, c’est le lieu des chaînes et des servitudes, c’est le lieu des viols et des destructions. C’est le lieu des indécences proclamées décences et des horreurs proclamées beautés. C’est le lieu des calvaires dits paradis et des infamies dites générosités. C’est le lieu des chemins qui se terminent en abîmes et des cordes qu’on se met au cou. C’est le lieu des terres brûlées et des cieux dévoyés. C’est le lieu des biles enflammées et des ego grisés. C’est le lieu des méchancetés et des rêves brisés. Nous le savons et nous prêchons : …apprends de la vie, apprends de ton prochain qui a appris de la vie, apprends de la source et non de son ruisseau. Apprends des livres et non d’un livre. Apprends de l’humble, apprends du suffisant, apprends de l’étoile, apprends du lézard. Apprends de la diversité, apprends de la multitude, apprends du sentier, apprends de la pierre, apprends de tout. Tends vers le grand cercle, et rejoins le petit cercle qui absorbe tout. On nous accuse de crime contre les ordres établis. Oui, nous n’accordons de légitimité à aucun ordre établi, nous leur dénions l’existence, nous les condamnons au mouvement à purger au pas de course de l’astre de leur choix. Les ordres établis sont peuplés de rapaces de nuit d’un genre médiocres et infiniment vilains. Comparés à eux, les rapaces de la nature sont d’admirables seigneurs. Des rapaces qui hululent et appelle la rapine la loi, le crime le droit, l’injustice la justice, la misère l’abondance, la déchéance le progrès parce qu’ils mesurent tout à la hauteur de leur nombril. Et tout ce qui le dépasse doit être coupé ou périr. Nous choyons la loi, le droit, la justice, l’abondance, le progrès, toutes les tables de lois, tous les livres saints et toutes les bonnes intentions… pour ce qu’ils sont et non pas pour décorer l’immonde. Nous assumons ce crime, nous plaidons coupables. Beaucoup de gens ironisent sur nous, et disent : … regardez ces prêcheurs de promesses avec quel zèle et amples gestes sèment-ils leurs promesses. Si c’était du blé, il y en aurait pour la fin des temps. Ils se trompent. Ils confondent la Promesse avec les promesses qui sont des vœux, des serments et des intentions. Nous ne prêchons pas les promesses mais la Promesse. La Promesse du point que rien ne mesure et qui contraint chaque chose à n’être que ce qu’elle est. On nous accuse de crime contre le goût parce que nous refusons de voir le goût là où ils disent qu’il est. Parce qu’ils veulent que nous nous convertissions en prêcheurs de goût et que nous formions des fidèles à la foi solide et inébranlable en des goûts fabriqués et prêts à la consommation. Alors que nous, nous prêchons le grand cercle : …aie et fais-toi tes propres goûts. Le vrai goût est dans ce qui t’édifie et te grandit à te faire déborder de générosité et d’intelligibilité ou du moins à t’assumer et vivre. On nous accuse de ne rien connaître à la beauté. Mais nous, nous voyons la beauté en tout. Souvent nous restons médusés devant la beauté des rides d’un vieillard, devant la beauté de la bouche édentée d’une vieille. Devant les charmes d’une laide, d’une grosse ou d’une traînée usée, démaquillée, sans fard aux joues ni rimmel aux yeux. Médusés devant une chenille, un papillon. Nous nous pâmons devant les étendues vertes, bleues et de toutes couleurs. Devant les gros seins gonflés de lait d’une mère, les petits seins d’une femme chétive et malingre, les jambes maigres d’une pauvre métisse. On nous accuse de ne rien connaître à la beauté parce que nous refusons de la segmenter et de la hiérarchiser. Parce que nous refusons de confondre la beauté avec les désirs de la bête. Nous cédons à certains de ses désirs, mais nous ne la vénérons pas. Nous prêchons le grand cercle sur lequel toutes les vies, les choses se rejoignent et tendent vers la vraie beauté. Nous prêchons la beauté. La grande beauté qui tourne autour de la droite du grand cercle. La droite est un cercle de rayon infini et toute droite est donc une courbe et par deux points passent plusieurs droites distinctes. C’est une réalité dont nous sommes convaincus, mais que nous ne pouvons pas montrer parce que nous approchons la réalité par la forme et nous n’avons pas trouvé la forme simple qui peut la montrer. Nous prêchons le grand cercle et nous veillons sur ses secrets.

Je suis un résidu, un avatar, une souvenance vacillante de cette tradition disparue. On l’a compris, j’espère ! Certes, nouer avec cette tradition ne m’est pas un choix, encore moins un besoin dépendant d’un caprice mais un passage obligé. Que j’en aie dis assez ou pas assez sur les « gens du cercle », ils auraient plus apprécié que je n’en dise rien en bien ou en mal. Ils n’aimaient pas ceux qui divinisaient le passé comme ceux qui divinisaient le futur. Ils les suspectaient de chercher plus à donner un visage humain à leur besoin de domination que de chercher la vérité qu’ils prétendaient trouver dans le passé ou le futur, et à qui ils s’adressaient en s’adressant à quelqu’un d’anonyme : « Ne retourne pas la pierre tombale sur son propriétaire à moins que tu ne sois un profanateur ou un pillard de sépulture. La pierre tombale ne t’enseignera rien de moins et rien de plus que ne t’enseignera une herbe qui pousse entre les dalles d’une cour de maison. La pierre t’enseignera que par-là est passé un corps regagner la terre et l’herbe t’enseignera qu’entre deux dalles, un espace restreint mais libre est mis à profit par la vie. La vie ne rechigne sur rien, elle s’adapte et se poursuit à jamais ou jusqu’à date où ce qui le permet ne le permettra plus. Méfie-toi des pillards des sépultures qui ne voient jamais rien de ce qui est devant eux mais tout de ce qui est loin, dans le passé ou le futur. Ils ne sont pas l’œil prévoyant et visionnaire qui voit loin, ils sont un ventre, un grand ventre absorbé par ses gargouillements. Si c’étaient des gens qui voyaient vraiment loin, ils auraient vu que l’avenir a été, le passé est et le présent n’est que l’effet, le fruit de leur collision, le fruit qui donnera naissance à d’autres passés et avenirs. (L’avènement de l’automobile et autres machines mobiles n’avait été rendu possible dans toute son ampleur que par la disponibilité de l’énergie fossile que la nature avait du mettre beaucoup de temps pour la créer et l’emmagasiner en son sein). Il y a des choses qui ne s’enseignent pas et sont en nombre de deux. Il y a le bonheur qui est une palpitation du cœur, l’enseigner, c’est enseigner au cœur de battre et l’amour qui est un don de la vie, l’enseigner, c’est enseigner aux fleurs le port des couleurs. Ce sont deux choses qui sont données et ne demandent qu’à être préservés, les enseigner, c’est les dénaturer. Pour les préserver, il est essentiel de bien les connaître mais la connaissance elle-même n’est ni complète ni neutre ni sans défaut. C’est pourquoi il est souhaitable de libérer ses sentiments et ses sensations de toute contrainte tout en les nourrissant de flexibilité, de finesse et de discrétion. On pourrait ajouter la foi qu’on ne peut enseigner sans croire que l’homme est une erreur à corriger, que la lumière s’éclaire et que l’obscurité s’obscurcit. Bien que tout autorise à penser que la lumière ne s’éclaire pas, elle éclaire et que l’obscurité ne s’obscurcit pas, elle obscurcit. C’est à la frontière entre l’obscurité et la lumière que réside la foi, tantôt elle est éclairée, tantôt elle est obscurcit. Méfie-toi de ceux qui prennent leur foi pour une source de lumière et qui se prennent pour des miroirs et appellent les autres à venir s’y mirer. Dans leurs miroirs, tu te verras monstrueux et par comparaison ils t’apparaîtront sublimes, car leurs miroirs sont ainsi faits, ils sont une part de leur obscurité qu’ils croient être de la lumière. La foi n’est qu’un besoin d’avoir confiance en quelqu’un, en quelque chose : … aie confiance en toi, en ton silence, en ta solitude, en l’autre malgré son obscurité et tu accéderas à la vraie foi, la foi en l’Omniscient. Ceci est une parole de ce que sème et récolte le vent, de ce que la vie promet et reprend. Entends les fureurs des temps et regards les hommes se tapir dans ce qu’ils appellent leurs valeurs ! N’empêche que s’ils pouvaient, ils interdiraient au tonnerre de tonner, à la terre de trembler, aux océans de gémir, au ciel de s’embrunir. Et même, à une feuille d’arbre de frémir. Ils cherchent à se protéger de tout mais ils ne peuvent se protéger d’eux-mêmes. S’ils ont un réel besoin d’une prière, c’est de celle-ci : Dieu, protège-nous de nous-mêmes ! »

Si, à leur époque, les archéologues en tant que spécialistes n’existaient pas, des personnes qui s’intéressaient aux ruines, aux cimetières et aux artefacts des anciennes civilisations, ne manquaient pas, motivés par la curiosité, la cupidité ou par l’intérêt d’interpréter le présent en réinterprétant le passé. Ces propos des « gens du cercle » n’étaient pas une attaque en règle contre les archéologues même en balbutiement, les éducateurs, les historiens, les futurologues, les divinateurs ou les religieux. Car seuls les actes et l’esprit (intelligence) qui les anime, les passionnaient : les actes parce qu’ils remodèlent le réel et l’esprit par ricochet, et l’esprit parce qu’il est déjà derrière l’acte avant qu’il ne soit commis et ne revienne à l’esprit. Ce qui les avait amenés à la conclusion « que seul l’esprit existe et seul l’esprit demeure en dehors de toute considération d’époque ». Il s’agit d’un esprit physique, réel. C’est par méconnaissance du réel qu’on invente ce qu’on veut. Quand on ne connaît pas une chose, on a tout le loisir de dire que c’est une autre chose. Ce que nous distinguons et ce que nous confondons sont de notre réalité qui, elle aussi, est d’une réalité qui nous submerge et dont nous ne pouvons nier l’existence sans nier la notre, peu importe notre manière de l’appréhender quoique celle-ci ne soit jamais désintéressée.

Ils dénombraient cinq types d’esprits. (1) L’esprit doctrinal ou religieux qui appréhende le monde et sa connaissance à l’aide de vérités fabulées, de croyances, de jugements ancrés, et de mythes anciens ou nouveaux sans se baser obligatoirement sur une religion particulière, ancienne ou moderne. Qui que l’on soit, on ne lui échappe pas. Le besoin du sacré, antithèse de l’éphémère, du dérisoire, le besoin d’unicité qui est indissociable de la vérité unique et le besoin de sécurité que procure ce qui semble solide et bien construit, sont ses trois principales constantes. L‘esprit doctrinal ou religieux répond plus particulièrement au besoin de se faire une image du monde se voulant juste et fondée et sans laquelle tout individu ou groupe humain se sentira désorienté et sans repaires. Il va de soi que le groupe humain le plus fort (toute force est relative) va essayer par tous les moyens d’imposer son images du monde aux autres, et non sans rencontrer des résistances parfois inouïes. Mais une image du monde qui séduit et attire des fidèles est celle qui promet un paradis comme récompense à ses membres les plus constants et les plus assidus et un enfer pour ses membres rebelles ou déviants. Que ce paradis soit d’ici-bas ou de l’au-delà, c’est sans importance puisque ni l’un ni l’autre n’est matériellement garanti, simple question de foi. Il faut rappeler que l’humain a toujours été dans la croyance et le reste.

2) L’esprit rationnel ou raisonnable qui soumet le monde et sa connaissance à la raison et ses produits, esprit qui n’empêche pas ceux qui évoluent dans les corridors du religieux, du doctrinal ou ailleurs dans des demeures isolées et sombres de l’adopter. Il n’est qu’un instrument, mais un instrument dangereux et à double tranchant, car ce qui peut servir peut aussi nuire et vice versa. L’esprit rationnel et l’esprit religieux peuvent se rejoindre et se confondre comme ils peuvent facilement tomber dans l’horreur et l’abject une fois poussés jusqu’au bout de leur logique. (3) L’esprit elliptique qui s’ouvre à tout et doute de tout (douter, ce n’est pas se méfier). C’est un esprit rare et n’appartient qu’à des êtres farouches et isolés parce qu’ils ne partagent que très peu d’idées avec les majorités constituées. Il ne finasse pas, il n’entretient aucune animosité, et quand il s’exprime, il fait l’effet d’une explosion par sa soudaineté et sa force de persuasion. Beaucoup croient l’avoir, parce qu’ils le confondent avec la technique de l’allusive et du concis. (4) L’esprit idéaliste qui croit au meilleur et à sa primauté sur le pire. Il est à la base de tout ce qui donne espoir ou le porte. (5) L’esprit opportuniste qui se plie aux exigences de sa maîtresse et la maîtresse de tous : la raison de la bête. On lui a accolées toutes sortes de noms : le diable, l’esprit malin, le démon, le djinn, la nature, l’inconscient, la subjectivité, l’objectivité, l’instinct, l’intérêt, la fatalité, la barbarie, la civilisation…, sans qu’aucun nom ne lui convienne tout à fait. Il est l’esprit le plus complexe et ne se condense pas dans l’idée qu’on se fait de lui. Il ne s’embarrasse d’aucun emprunt et ne se gène pas de se l’approprier. Il emprunte à l’érudition, au naturel, au surnaturel et aux autres esprits sans le moindre scrupule. Il a toujours plus d’un tour dans son sac pour échapper au regard critique, il se présente pragmatique, réaliste, factuel…. Il se délecte de la bonne parole marinée dans beaucoup de bonne conscience. Il jongle en permanence avec le délictuel avec dextérité. Il le commet et le dénonce chez l’autre.

En écoutant les « gens du cercle » parler de l‘esprit opportuniste, rares étaient les personnes qui ne ressentaient pas un certain malaise difficile à dissimuler. Ce n’était pas le fait d’en parler qui dérangeait outre mesure, et encore moins l’apparente opacité de leur langage qui n’avait rien d’opaque comparé à n’importe langage de proximité (dialecte ou jargon) dont on n’est pas familier. C’était surtout parce qu’ils s’exprimaient différemment et présentaient les choses selon des points de vue peu communs. Conscients du malaise qu’ils transmettaient à leur public, ils commençaient toujours par cet avertissement comme caution de leur bonne foi : « Nous détestons rien et nous n’aimons pas tout. Ceci est un choix et nous avons choisi la vie (la mort fait partie de la vie, elles sont même indissociable). Nous sommes des fragments d’un songe et nous ne voulons pas être ce songe mais seulement ses fragments. Le fragment apprécie, déprécie et ne se gène pas de révéler ses desseins qui tendent tous vers le but de retrouver son tout, le songe dont il fait partie. Nous apprécions, déprécions et révélons nos desseins pour démentir l’esprit opportuniste qui n’est qu’un fragment et croit ne pas l’être et, par conséquent, détenir le jugement. Qui détient le jugement ne juge pas, il condamne sans révéler ses desseins. Comme nous ne détenons pas le jugement, ce qui prouve que nous sommes que des fragments, nous apprécions et déprécions sans nous laisser berner par l’illusion d’avoir raison.

Nous avons eu tort d’avoir cru dompter la nécessité et d’avoir cru que la conscience est plus grande que l’être dans sa chair et ses os. Nous avons eu tort d’avoir cru au remord, au repentir comme antidote à la suffisance, alors qu’il est son corollaire. Nous avons eu tort d’avoir minimisé l’importance de l’insignifiance, alors qu’elle est celle par où arrive le grand malheur sans prévenir. Nous avons eu tort d’avoir cru au pouvoir des mots nus, décharnés, alors que seul ce qui est bien enrobé séduit. Nous avons eu beaucoup de torts. Mais quels que fussent nos torts, personne ne doit dire que nous n’avons pas essayé de faire de la conscience le plus vaste des cieux. Nous avons bu à toutes les sources des malaises et nous avons appris que le ciel le plus vaste est lui aussi corruptible et avec lui l’homme et sa conscience.

Nous avons été de beaucoup de guerres et nous n’avons vu aucune personne tuer ou se faire tuer, nous avons vu des personnes courir vers l’inconcevable fait d’être conçu et le détruire dans un vacarme assourdissant où les excès paraissent n’obéir qu’à eux-mêmes comme des tempêtes dévastatrices et soudaines. Quand quelqu’un d’une assemblée se lève et pointe son doigt dans une direction et dit voilà le mal, voilà l’ignorant, ou voilà l’imbécile, c’est lui-même qu’il désigne et il l’ignore, ce qui est la pire des ignorances. Quand à nous, nous savons que nous sommes des ignorants et que nous pouvons tomber aussi dans la pire des ignorances. »

Ils multipliaient les exemples pour expliquer l’esprit opportuniste, mais ne manifestaient aucun enthousiasme à convaincre qui que ce soit comme si cela leur était indifférent.

Je les comprends dans leur manque d’enthousiasme à convaincre, car, pour expliquer quelque chose, même complexe, un exemple suffit le plus souvent. Mais dans le cas de l’esprit opportuniste, il en va tout autrement bien qu’il soit le plus répondu, bien qu’il soit celui qui nous dicte la plupart de nos actes et de nos paroles. J’hésite à les imiter et à me commettre dans les exemples à leur façon, je n’ai pas leur finesse d’esprit ni leur facilité à manier le verbe. Pour ma part, je vais me limiter à quelques réflexions et à un seul exemple puisé dans un journal et choisi pour son côté enfantin et son auteur, professeur d’université, c'est-à-dire qu’il s’appuie sur la crédibilité d’une institution : « …Les enjeux actuels « au pays des Lunatiques » dépassent grandement ce pays. Les passions sectaires qui s’y expriment pourraient enflammer toute la région. Certains politicologues aiment raconter l’histoire suivante : Un scorpion demande à une tortue de monter sur son dos pour traverser une rivière. La tortue se méfie mais le scorpion la rassure en disant qu’il ne pourrait lui faire du mal sans en être lui-même victime. La tortue accepte et, au beau milieu de la rivière, le scorpion la pique. Avant de rendre l’âme, la tortue demande au scorpion pourquoi il a fait cela, les entraînant tous les deux à la mort et le scorpion de répondre : – Ici, c’est le Moyen-Orient « ou le Moyen-Désorienté». Il est évident que la tortue et le scorpion n’ont jamais connu la démocratie et le respect d’autrui qui lui est inhérent…. ». (Les mots en italique sont de moi).

La fable de la tortue et du scorpion est très ancienne et n’a pas attendu des politologues givrés pour l’inventer. La moralité de cette fable : les instincts des êtres vivants sont tellement puissants que pour les assouvir, ils se laisseraient entraîner à leur propre perte. On ne se guérit pas facilement de sa nature, de ses atavismes ou de certaines de ses habitudes. La fable qui correspond le mieux à la réalité de cette région « des Lunatiques » est celle du héron et de la tortue. Un jour, un héron rend visite à une tortue et l’invite à assister à une grande fête qui se prépare dans le ciel et qui sera sans précédent et restera sans égale à l’avenir d’après ses promoteurs. La tortue dit au héron : – « J’aimerais bien y être mais je ne peux pas m’y rendre, je n’ai pas des ailes comme toi ». Le héron lui propose de la porter dans son bec et de l’y amener avec lui. Malgré sa méfiance légendaire, la tortue accepte par crainte de rater quelque chose d’exceptionnelle. Une fois dans le ciel, le héron, après avoir repéré un gros rocher plat et luisant, laisse tomber la tortue. La tortue en tombant se dit à elle-même : – « Si je m’en sors, qu’on me surnomme la miraculée ! Je suis seule à blâmer pour avoir cru à une fête qui va se dérouler au ciel. Qu’on me méprenne une autre fois et qu’on me surnomme l’écervelée ! » La tortue s’en sort indemne et le même héron revient en charge. Il lui annonce cette fois sans détour ni tromperie : – « je viens faire de toi mon repas. » La tortue lui répond : – « Étant que mon sort est d’être ta proie, ta franchise me ravie. Je vais beaucoup apprécier mon voyage dans les airs en sachant que le temps de ce voyage est le seul temps qui me reste à vivre ».

La fable n’a que le sens qu’on lui donne et les animaux ne sont pas concernés. Mais comment ne pas trouver pathétique de lire : « Il est évident que la tortue et le scorpion n’ont jamais connu la démocratie et le respect d’autrui qui lui est inhérent » (?)

C’est d’autant plus pathétique que cela est dit pour justifier une guerre au nom de la démocratie comme si la démocratie était une recette de cuisine et non un instrument de pouvoir avec des institutions jouant des rôles diverses : de promoteur, d’initiateur, de garde-fou, d’arbitre, de force dissuasive et coercitive, d’outil de persuasion, de propagande, et d’alignement des consciences…, et auxquelles une majorité des membres d’une société doit croire, ou qu’elle doit du moins tolérer. Rien ne garantie à ses institutions de ne pas déraper, de ne pas s’éloigner de leur rôle, de ne pas se momifier, de ne pas mourir, de ne pas être récupérées et utilisées à d’autres fins que les leurs…. Le but de la démocratie en tant qu’instrument de pouvoir est d’assurer :

(1)– une hypothétique égalité des chances avec plus au moins de bonheur. Car nous ne naissons pas tous égaux (pour des raisons naturelles, sociales, économiques, historiques ou politiques) et nous ne le devenons pas, à part en notre vouloir vivre qui implique le droit à la vie, le droit au respect, le droit à la dignité…d’où cette nécessité à toujours plus de solidarité.

(2)– et idéalement une coexistence pacifique des diversités : diversité des couches et classes sociales, diversité culturelle, linguistique, raciale, religieuse….

La différence est une nécessité de la vie, sans différence il ne peut y avoir de complémentarité et sans complémentarité, pas de vie. Une complémentarité idéale est celle qui est assumée et non celle qui est imposée comme c’est souvent le cas.

Pour user de cet instrument de pouvoir qui est la démocratie, il est nécessaire d’avoir les moyens des institutions qui peuvent le permettre et le garantir. Une société, un peuple qui n’a pas ces moyens et qui ne se les crée pas, peut toujours rêver de démocratie et ne sera qu’à la traîne et soumis puisque démocratie rime, telle qu’elle se présente et s’est toujours présentée depuis sa réapparition moderne et même à sa naissance, avec puissance, force, compétence et accumulation de richesse dont l’envers est asservissement, soumission, incompétence et poudre aux yeux. Le reste, c’est de la tchatchologie pure, de la parlote, de l’agit-prop. En confondant la démocratie avec un modèle économique ou avec une morale, on ne la renforce pas on l’affaiblit. Blottie derrière ses institutions, la démocratie peut être d’un avantage extraordinaire pour la prédation. L’individu, étant au service d’une institution qu’il croit louable et respectable, n’a rien à se reprocher et n’est responsable de rien tant qu’il œuvre pour l’intérêt supérieur de celle-ci qui le protège et lui assure un statut en même temps. Une institution finit toujours par devenir une fin en soi et ne se remet en cause que contrainte et forcée par les évènements. C’est pour cette raison qu’une démocratie peut se réduire à un jeu de pile et face d’une seule pièce, comme elle peut déboucher sur n’importe qu’elle impasse suivant les idéologies en place et les résultats de leurs confrontations.

Si pour le moment les démocraties occidentales semblent bien fonctionner, c’est peut-être que le vrai pouvoir s’est déplacé et qu’il n’est plus aux mains des politiques, mais aux mains de groupes d’intérêts financiers et économiques qui se servent des politiques comme de simples caisses de résonance. D’où on peut déduire qu’elles ne sont que des dictatures déguisée, à supposer qu’il puisse en être autrement et que les politiques aient au moins une idée sur leur mission qui, en gros, consiste à faire valoir le général sur le particulier.

À vrai dire, cela a souvent été ainsi et ne présente rien d’orignal. Les peuples sont généralement dociles tant que cela ne les dérangent pas beaucoup et tant qu’ils peuvent continuer à joindre les des deux bout, quitte à se rattraper sur les restes de table pourvu qu’il y en a assez pour tout le monde.

En fait, la question est de savoir qui du système ou de l’homme qui le crée gouverne et pour quelle finalité. Des dictatures, des tyrannies ou des totalitarismes, ce n’est jamais l’expression ou le fait d’un mégalomane ou d’un méchant portant des cornes acérées qui embroche à tout va comme on a tendance à nous le faire valoir, mais l’expression d’un grand désarroi face à l’effritement d’un ordre socio-économique et politique, d’une peur exacerbée devant un avenir sur des béquilles ou d’une forte volonté messianique d’imposer, d’établir ou de rétablir un ordre à l’interne ou à l’externe d’un territoire. Ce qui exaspère dans la dénonciation des dérives de ces systèmes de pouvoir, c’est le fait de les mettre sur le compte presque exclusif d’une seule personne et de la diaboliser. On sent que par ce procédé, on ne vise pas à dénoncer ces systèmes de pouvoir dans leur fondement mais on s’en sert pour faire peur aux peuples comme on le fait avec les enfants turbulents qu’on menace de se faire dévorer par le méchant loup s’ils ne restent pas sages. Pourquoi un tel procédé interlope ? C’est parce que tous les systèmes de pouvoir sans exception aucune se fondent sur la duperie et le mensonge et tout est dans l’art de jongler avec. La propension à la tyrannie et au totalitarisme est le propre de tout système de pouvoir dès lors qu’il a écrasé ses concurrents et pris de l’ampleur, qu’il soit incarné par une personne physique ou une personne morale. C’est pour réfréner cette propension qu’on fait appel à de différents arbitrages (pacifiques ou violents, institutionnalisés ou temporaires) depuis que le monde est monde. (1) L’arbitrage du peuple par suffrage, acclamation, consentement ou le choix du moins pire (soumission), (2) l’arbitrage des juges ou des personnes apparentées par l’interprétation et l’application de la loi quelle que soit son inspiration, (3) l’arbitrage des élites dans toutes leurs diversités par leurs aptitudes plus aux moins réelles à pouvoir définir une éthique, défendre et promouvoir l’intérêt commun, (4) l’arbitrage référentiel à l’admis et au non-admis qui est l’apanage des cultures… en sont quelques uns. Mais aucun arbitrage ne suffit par lui-même. Un peuple peut être manipulé et maintenu inconscient des défis et enjeux qui l’attendent. La loi peut se scléroser et devenir une fin en soi, sans possibilité de l’améliorer ou de la remplacer, même dépassée et sans raison d’être, et ceux chargés de son interprétation peuvent se révéler zélés, incompétents et véreux. L’éthique comme pourvoyeuse des principes moraux est un terrain qui, en plus d’être vague, est peu propice au commun pour y cheminer. Quant à la culture, c’est un étrange bouillon fait d’éléments composites dont les origines se perdent dans les entrelacements du temps.

L’esprit opportuniste dans cet exemple est d’autant plus dangereux qu’il est puéril, innocent tout en se voulant sagesse et clairvoyance. Laisser entendre que pour devenir respectueux des autres, il suffit de connaître la démocratie et de se soumettre à sa volonté, c’est hisser la démocratie au rang d’un Dieu suprême et faire de ses fidèles des sauveurs luttant pour le salut de l’humanité. Invariable procédé : on exagère la responsabilité des autres et on minimise celle des siens ou qu’on croit être les siens. Les siens sont des démocrates, donc des sauveurs, il est de leur devoir sacré de s’engager dans cette région pour la pacifier et la sauver. Car les peuples de cette région, ne connaissant pas la démocratie, n’ont aucun respect d’autrui. Ce sont des sauvages, des mécréants qui ne croient pas à la démocratie. Mais on ne dit pas mot sur la responsabilité des siens qui avait fait de cette région des Lunatiques ce qu’elle est devenue. Humiliant ses peuples depuis au moins deux siècles pour ne pas remonter à plus loin au nom de la civilisation, de la démocratie, des droits de l’homme…. Les encourageant dans leur stupidité ou la leur reprochant. Montant les gentilles contre les méchants, les races pures contres les races bâtardes, les fanatiques contre les tolérants qui tolèrent leurs proxénètes mais pas les fanatiques, les lunatiques qui se flagellent contre les lunatiques « lapideurs » des femmes adultères, les mangeurs de cochons contre les mangeurs de moutons, les buveurs du lait caillé contre les buveurs des boissons alcoolisés …. Et pourquoi ? C’est parce que le hasard a voulu que cette région soit un des principaux carrefours de l’humanité, reliant trois continents entre eux, l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Et parce qu’elle recèle une richesse très convoitée par les temps présents. Les divisions actuelles sont bonnes pour les affaires et profitent à tous ceux qui savent nager en eau trouble.

De ces réflexions alambiquées et de cet exemple, je m’en serais volontiers passé si j’avais trouvé une manière plus simple d’expliquer pourquoi les « gens du cercle » portaient en horreur l’esprit opportuniste. Et comment il leur rendait toute chose pareille elle-même et caricaturale, eux qui ne trouvaient leur bonheur que dans la simplicité et appréciaient un verre d’eau comme on apprécie un vin capiteux et hors de prix et une galette de pain d’orge comme un plat gastronomique d’un grand chef cuisinier. Ils ne se seraient peut-être jamais intéressés à l’esprit opportuniste si une question ne les avait pas toujours éperonnées sans lui trouver de réponse à supposer qu’elle puisse en avoir une : « pourquoi les êtres- humains se regroupent-ils, s’organisent-ils dans le but de contrer l’adversité et de subvenir à leurs besoins essentiels pour se retrouver ensuite dans leur majorité esclaves d’un système aux nombreux besoins impénétrables, repoussant leurs besoins essentiels au dernier rang ? »

Rédaction

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