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vendredi 19 avril, 2024

Les eaux pluviales, une ressource inestimable, gratuite, mais méprisée en Algérie

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Face aux défis de subvenir  aux  besoins d’une population en croissance galopante, et d’un développement économique et urbain tout aussi soutenu,  des efforts considérables,  sous forme d’investissements colossaux  ont été déployés ces quinze dernières année en Algérie pour soutenir la relance économique en général, et la politique de diversification des ressources en eau, et leur gestion « intégrée et durable ».  Ceci s’est traduit par la dotation du pays de toute une pléthore de ressources aussi diverses et coûteuses, les unes que les autres. Cependant aucune mesure concernant la conservation et, ou la gestion des eaux de pluie n’a été envisagée par les responsables Algériens en la matière, ni en milieu rural ni en milieu urbain, et pourtant celle-ci devrait impérativement passer comme stratégie prioritaire, dans un pays aussi aride et pauvre en ressources hydriques que le nôtre.

Ces réalisations (Construction de barrages, stations de dessalement et de traitement, etc.) ont été entreprises en parallèle à la mise en place de divers outils de gestion, de planification et d’aide à la décision  tel que  le « Plan national de l’eau, la révision du cadre législatif et réglementaire pour l’application de la loi sur l’eau de 2005, qui visent à  gérer la ressource en eau dans une perspective de « développement durable ». Or le principe fondamental d’une gestion intégrée et durable, n’est-il pas d’intégrer justement tous les aspects du cycle de l’eau et de leurs interrelations, et en particulier sa composante principale qui sont « les eaux pluviales », alors qu’elles ne sont mentionnées dans les textes de la nouvelle loi de l’eau que sommairement  à deux reprises, et ce uniquement lorsqu’il s’agit de s’en débarrasser le plus rapidement possible.

Les eaux pluviales sont encore considérées en Algérie comme une nuisance à éliminer de suite, et non comme une ressource précieuse, propre,  gratuite, qu’on devrait au contraire récolter, gérer, exploiter, recycler, et rendre purifiée  à la nature, comme le veut la logique d’une gestion véritablement  intégrée et durable digne de ce nom. Les méthodes dites « conventionnelles » de drainage des eaux pluviales urbaines, et qui consistent en leur évacuation rapide par canalisation, ne contribuent en fait qu’à transférer le problème d’un endroit à un autre, plutôt que de le résoudre de manière efficace, définitive et durable.

À ce propos, les sociétés qui gèrent les eaux de nos grands centres urbains, continuent d’être assistées sous contrats valant des centaines de millions d’Euros, par des entreprises étrangères supposées les conseiller sur les méthodes de gestion les plus durables, utilisent encore des méthodes de gestion totalement  dépassées. La recrudescence du phénomène des inondations, souvent catastrophiques depuis quelques années dans quasiment tous nos centres urbains, témoigne bien de l’inefficacité de ces méthodes. L’apport de nouvelles technologies a certes été capital dans les avancées notables réalisées jusque-là, mais il doit d’être renforcé de manière plutôt pragmatique que dogmatique, c’est-à-dire par un véritable transfert des connaissances équilibré, de façon à permettre aux spécialistes Algériens de l’environnement de s’émanciper  le plus rapidement possible de la dépendance souvent associée avec les échanges Nord/Sud.

L’intense expansion démographique, économique, et urbaine, contribue considérablement à l’imperméabilisation des sols, elle limite l’infiltration naturelle des eaux pluviales-qui d’ordinaire renflouent les nappes phréatiques-en accentuant le ruissellement, et les risques d’inondations lors de précipitations intenses, et n’est pas uniquement  responsable du déséquilibre hydrologique local dû au déficit en eau, mais elle est aussi responsable de l’enrichissement de l’eau en éléments polluants suite à son ruissellement sur les chaussées polluées par les carburants, les huiles de vidange, et les métaux lourds. Lors de précipitations intenses, ces eaux polluées sont  soit déversées directement dans les cours d’eau les plus proches à grand volumes, qui provoquent inondations et érosion, et étalent  la pollution à échelle régionale, soit elles sont expédiées vers les stations d’épuration déjà saturées par les eaux usées, pour y être finalement purifiées à coûts élevés.

Dans le contexte d’un développement plus durable, il y à donc lieu de revoir nos façons de développer le territoire de manière à créer des milieux urbains à la fois denses, moins imperméables et plus végétalisés. Il serait d’autant plus nécessaire que les eaux pluviales reprennent leur place  inhérente de ressource en eau complémentaires à toutes celles déjà mobilisées, ne serait-ce que pour créer,  et entretenir les espaces plantés, parcs, et jardins dont les villes Algériennes manquent cruellement, et d’assainir autant que faire se peut  l’air devenu irrespirable de nos zones urbaines. Il s’agît donc d’approches qui consistent à concevoir une nouvelle infrastructure indépendante du réseau des eaux usées, spécifiquement pour les eaux pluviales, à moindre impact négatif sur l’environnement du territoire à aménager. Cette nouvelle infrastructure peut être réalisée en adoptant toute une série de procédures qui permettent de reproduire le comportement hydrologique précédant l’urbanisation. Elle rendra possible donc, à la fois le recouvrement des fonctions originelles de ces paysages à travers la mise en œuvre de stratégies d’aménagements visant à rétablir la perméabilisation, le ralentissement de l’écoulement, la réduction de la quantité d’eau de ruissellement produite et  sa charge polluante, et constituera par là même, un facteur majeur de maîtrise du risque d’inondations, et de préservation des ressources en eau, et des milieux aquatiques.
Ces stratégies d’aménagement s’appliquent à plusieurs échelles du bassin versant et sont regroupées en trois catégories de mesures, ou aménagements de contrôle, et de gestion;

  1. Contrôle à la source: Ce sont des mesures qui s’appliquent à l’endroit où sont captées les eaux de ruissellement, et concernent le les terrains résidentiels, institutionnels, commerciaux et industriels. Certains aménagements sont conçus de façon à ce que les eaux de ruissellement franchissent 2 ou 3 mesures de traitement, ce qui permet plusieurs étapes de filtration des polluants par les plantes, tout en réduisant la vitesse d’écoulement, contribuant dès lors à diminuer l’érosion et à maximaliser l’infiltration. Ils comportent les bandes filtrantes, les jardins de pluie ou les aires de bio-rétention, les citernes et bassins pour la réutilisation de l’eau, les puisards ou puits absorbants, les toitures végétalisées, et les pavages perméables.
  2. Contrôle en réseau : ce sont les mesures qui s’appliquent au niveau de la trame de rue, ou à l’échelle du quartier en réseau d’assainissement purement destiné aux eaux pluviales, où celles-ci sont acheminées vers des noues (tranchées d’infiltration végétalisée linéaires), ou fossés de drainage, et  bassins de rétention/’infiltration, situés dans les espace verts, parcs et jardins avoisinants.
  3. Contrôle en aval : il concerne les mesures qui s’appliquent en aval du secteur urbanisé, et où les eaux de ruissellement que les mesures de contrôle à la source ne parviennent pas à traiter et à infiltrer, ces eaux sont donc évacuées du quartier vers les installations réceptrices en aval, tel que les bassins de rétention secs, ou en eau, et les marais de filtration ou de lagunage, qui représentent de valeureux espaces paysagers et écologiques aussi bien pour la vie de citadins, que pour la biodiversité locale.

Pour qu’une approche de mise en œuvre d’un système d’assainissement d’eaux pluviales soit véritablement intégrée et durable, elle se doit d’impliquer aussi bien les initiateurs et les concepteurs du projet,  que les services  municipaux compétents, et les usagers. Son succès dépend de la coopération entre tous les participants, parmi lesquels se répartissent les responsabilités, avec en premier lieu l’état, qui établit et fait respecter la réglementation en matière de gestion de l’eau, d’aménagement, de préservation de la qualité des milieux naturels, de prévention et de protection contre les inondations, et contre la pollution.

La gestion des eaux pluviales est également d’une importance capital en milieu rural, et notamment  dans une perspective de production agricole et horticole qui se voudraient durables, et en harmonie avec la nature. D’ailleurs les stratégies et techniques de gestion utilisée en milieu urbain, ont pour la plupart été inspirées ou directement adoptées des techniques ancestrale d’agriculture dans les zones arides de par le monde. Le principe consiste essentiellement à capter les eaux pluviales, à les  stocker en grande partie dans le substrat des parcelles de production, ou en surface dans des bassins ou des retenues collinaires pour l’irrigation des cultures en périodes sèches.

Un système de noues (tranchées d’infiltration linéaires) judicieusement disposés les unes après les autres, et espacées entre elles  à des intervalles allant de 4 à 12 m, permettrait de capter et de faire infiltrer la quasi-totalité du ruissellement annuel d’une parcelle donnée, et de la stocker entièrement dans le substrat, à l’abri de l’évaporation, où elle serait directement disponible aux systèmes racinaires des cultures, permettant ainsi de réduire le recours à l’irrigation de 70 à 90%, même dans les dans les zones les plus arides. Ce concept est souvent appliqué dans le domaine de réhabilitation  des paysages endommagés, dans la lutte contre l’érosion, ainsi que dans la lutte contre la désertification, et serait une solution beaucoup plus efficace dans la réalisation du « Barrage Vert » que les méthodes aléatoires employées jusque là

La gestion des eaux pluviales aurait pu être adoptée avec grand succès et efficacité  pendant la conception des aires de repos et des stations-services de  l’autoroute à  scandales (Est/Ouest) ; Ainsi ces installations autoroutières auraient pu être situées de manière à recevoir des volumes importants d’eau de ruissellement par simple gravitation terrestre, qu’on aurait traité dans chaque station par lagunage ou jardins d’eau, dans un cadre paysager verdoyant et agréable pour la détente et le bonheur des voyageurs, l’eau purifiée aurait alimenté tous les équipements des stations-services (Toilettes, voire même les lavage autos).
Face à la problématique de l’eau et les problèmes systémiques que connait l’Algérie aujourd’hui, il me semble plus approprié de tirer ma conclusion en posant la question suivante : « Combien de temps va-t-on encore attendre avant de prendre sérieusement en considération cette ressource inestimable et gratuite, et l’intégrer pleinement dans le dessein national de gestion durable des ressources en eau ? »

Faut-il rappeler qu’il s’agît d’une une pratique encore méconnu en Algérie, et paradoxalement sans laquelle on ne peut prétendre mettre en œuvre une gestion véritablement durable de l´eau, ni combattre efficacement les inondations, ni la sécheresse, ni la pollution, ni l’érosion des sols et la désertification, tel que le stipulent les textes de la nouvelle législation Algérienne sur la gestion durable des ressources en eau.

Pour que l’intégration  d’une telle pratique puisse devenir effective, elle doit d’abord se faire  par une révision des textes de loi actuels, et par la consolidation du cadre institutionnel, réglementaire et juridique. Il est  certain que le chemin vers une possible intégration de cette ressource, passera par un changement de mentalités et d’attitudes, qui ne pourrait d’ailleurs s’opérer que par l’instruction et la formation de nos responsables politiques, nos cadres, et nos jeunes en matière d’approches et de gestion intégrée, et l´adoption du concept de travail multi- et pluridisciplinaire indispensable dans une approche intégrée.

Pour ce faire, il serait judicieux de commencer modestement par encourager une coopération plus étroite entre les ministères de tutelle (Eau, environnement, urbanisme, intérieur, agriculture, et  travaux publics)  et les institutions concernés, les universités et instituts de recherches, ainsi que les industries, sur la manière d’adopter au plus vite cette nouvelle pratique. Car si celle-ci est adoptée, elle représenterait à elle seule tout un nouveau secteur d’activités très dynamique, offrant d’énormes perspectives d’emplois durables, touchant plusieurs autres secteurs, ce qui stimulerait d’avantage l’activité économique, et le développement des métiers de l’environnement, améliorant de la sorte le cadre de vie des citoyens, tout en préservant l’environnement et les ressources en eau.

M A. Chabou
Architecte paysagiste, et spécialiste des questions relatives à l’eau, aux Pays-Bas.

Rédaction

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