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mercredi 27 mars, 2024

République, Démocratie, Élections : Je suis musulman donc je m’abstiens ?

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Retranscription complète d’un entretien de l’auteur Aïssam Aït-Yahya donné pour un site anarchiste pro abstention (Le Nouveau Monstre), l’entretien tourne principalement autour des relations conflictuelles du musulman (conscient) vis à vis de son environnement laïco-séculier en Occident.

Aïssam Aït-Yahya est l’auteur de plusieurs livres, notamment De l’idéologie islamique française, mais aussi Théologie du complotisme  musulman ou Textes et contexte du Wahhabisme, tous publiés aux éditions Nawa. Entretien passionnant avec un auteur radicalement insoumis. 

Gustavo Mazzatella : Vous expliquez très précisément comment un musulman peut « vivre » et « se comporter » en France, bien que l’Islam ne soit selon vous pas compatible avec la démocratie et la laïcité françaises, en étant dans la légalité sans toutefois accorder au pouvoir en place sa légitimité. Tout musulman vivant dans un pays ayant un dirigeant qui n’appliquerait pas l’Islam en tant que politique doit-il automatiquement être dans l’opposition politique de celui-ci ? Est-ce en cela une insoumission à la modernité ?

Aïssam Aït-Yahya : Je vais prendre une simple image : l’Islam est un système global, un musulman hors de ce système est comme un poisson hors de la mer, certes, il pourra toujours vivre dans un bassin, dans un aquarium ou même dans un verre d’eau (qui constitue son espace de liberté)… mais il ne sera jamais aussi bien que dans son océan originel.

Celui-ci est pour l’instant très pollué par d’immenses rejets de toutes sortes (Occidentalisation) qui détruisent tout son écosystème (État/société musulmane) avec une qualité d’eau très médiocre, et en plus de cela, avec des flottes de bateaux de pêche qui le sillonnent, pêchent et vendent ce poisson au plus offrant.

L’insoumission à la Modernité, c’est juste dire que l’on sait que l’on est des poissons de mer, et on le redécouvre, parce qu’au final on a compris ce qu’était l’aquarium (France), et on sait ce qu’était la mer avant sa pollution et son exploitation. Certains, c’est vrai, refuseront d’adopter cette réalité, heureux de leur condition de poisson rouge tournant en boucle dans leur bocal.

Le musulman ayant conscience (même minime) de ce qu’est l’islam, est politiquement – au moins moralement – dans une forme d’opposition, dans une dissidence de principe et dans une résistance à un système non-islamique. Tout l’enjeu actuel pour le système politique en France, c’est de dire soit vous êtes des gentils arabo-musulmans assimilés, peu ou pas pratiquants, catho-laïques comme on les « aime », avec un islam colonial dont les imams font ce qu’on leur dit de faire, soit vous êtes des terroristes.

Insoumission à la modernité c’est dire : je vis en France, je respecte la loi (construction humaine historique critiquable), je ne cause de tort à personne, je vis en maximisant mes intérêts et ceux de ma religion (Droits et libertés fondamentales) et j’ai des croyances politiques et philosophiques radicalement opposées aux vôtres : cela ne fait pas de moi un criminel. Mais dire ça et penser ça en France : c’est complètement intolérable et à lire certains, cette vision totalement sereine et apaisée mais forte et incorruptible, c’est justement plus dangereux que le terrorisme !

De plus, en philosophie le terme Modernité regroupe beaucoup de thématiques (sécularisation, individualisme, matérialisme) dont les idées politiques peuvent entrer en contradiction avec la philosophie islamique. Être musulman au final, c’est entrer en résistance contre tout un processus de civilisations qui engendre des dérives et déviations, islamiquement intolérables.

GM : Vous critiquez vivement le rejet de l’implication des musulmans dans la sphère politique, comme le prône par exemple ce que vous appelez le salafisme séculier ou le soufisme maraboutique, tout en vantant les mérites de l’abstention. Pourriez-vous nous expliquer quel type d’abstention vous revendiquez ? Car cela pourrait paraître contradictoire à première vue.

AAY : Aucune contradiction, le système des élections est un jeu, avec ses règles, pour que les mêmes gagnent à la fin. C’est un système de reproduction du pouvoir, cela ne peut plus se faire par le sang directement (comme l’aristocratie) ou par la fortune (officiellement) donc l’élection est historiquement le moyen que les démocrates (dès le XIXème siècle) ont trouvé pour que les plus nobles, les plus riches, les plus puissants soient toujours élus et que le peuple abandonne la politique du rapport de force (défavorable à la minorité aristocratique et bourgeoise) en mettant un bout de papier dans une boîte.

Donc gagnant-gagnant pour qui l’on sait : toujours au pouvoir tant que le peuple joue le jeu. Pour information : c’est la raison pour laquelle nos petites démocraties occidentales ont toutes refusé d’institutionnaliser le système du tirage au sort à la fin du XVIIIe : base de la vraie démocratie au sens athénien du terme. Au final en France à l’heure actuelle, la démocratie c’est la dictature d’une majorité dont l’opinion publique est créée par des médias mainstream contrôlés par une oligarchie contre une minorité (musulman en France) souffre-douleur.

La vraie politique, c’est de s’abstenir et d’agir sur le terrain réel sur la « polis » (cité). Un musulman se plaignant de l’islamophobie institutionnelle et étant ensuite prêt à donner sa voix ou voter n’est plus victime, il est complice comme disait Orwell. La véritable politique est d’être acteur engagé dans son quotidien en construisant ce qui est nature a créer un vrai rapport de force politique, économique ou autre. Et pas de se faire tout beau un dimanche tous les 6 mois pour mettre un morceau de papier dans une boîte, entendre : « a voté » puis dès le lundi subir la dure réalité du système.

C’est assez extraordinaire de voir les gens constamment se plaindre des politiques, de leurs trafics et magouilles en tout genre, de leurs passe-droit et de leurs politiques et continuer jusqu’au bout cette mascarade du vote : cette démocratie et les élections, c’est vraiment plus qu’un phénomène religieux, c’est devenu complètement mystique et irrationnel. Et dire que les athéniens bannissaient le simple citoyen ambitieux qui rêvait d’accéder aux pouvoirs, condamnaient à mort celui qui détournait à son profit de l’argent public ou qui s’était simplement trompé de bonne foi dans une décision politique…

GM : Vous insistez sur le fait que la démocratie, la laïcité, ou encore l’humanisme sont des idéologies totalement semblables à des religions (séculaires), avec leurs dogmes, leurs croyances, leurs sacrés, etc. Est-ce une manière de renvoyer les athées anti-religieux dans leurs contradictions ? Une volonté de prouver le besoin quasi-vital de religion (ou disons de croyance) chez l’homme ?

AAY : L’athéisme est une religion sans Divinité ni dogme ni croyance ni rite autres que ce que la Raison de l’homme lui dicte, l’athéisme est une religion où l’Homme est finalement (fatalement je dirais) la divinité. L’athéisme est donc profondément lié au christianisme : Jésus était Dieu (dieu réincarné donc homme redevenu Dieu).

Dans l’athéisme, tous les ex-petits chrétiens deviennent donc à leurs tours leurs propres divinités, ce n’est pas Nieztsche qui me démentirait. L’homme est religieux, il faut juste savoir trouver quel est son sacré, quelle est la loi religieuse qu’il respecte scrupuleusement.

La Modernité occidentale, c’est justement le fait de cacher cette réalité aux hommes modernes afin qu’ils croient que l’humanité est libérée du religieux « traditionnel » : en occident, elle ne s’est libérée de ses anciennes religions que pour tomber dans d’autres nouvelles qui lui ont promis le paradis sur terre. On connaît la réalité de la promesse depuis la fin du XIXème siècle…

GM : Votre ambition est une renaissance de l’Islam qui doit passer d’abord par une déconstruction du mythe de l’occident moderne post-chrétien suivi d’une résistance globale et organisée par l’ensemble de la communauté musulmane refusant l’assimilation. Cela correspond-il à ce qui est nommé couramment le « repli identitaire » des musulmans et qui est redouté par l’Etat et de nombreux Français ?

AAY : Ce repli identitaire est redouté car l’Etat a peur que ses enfants de la colonisation et de l’immigration devenus français se construisent une conscience politique et agissent en citoyens décomplexés. Il a donc toujours voulu nous faire avaler la propagande anti-communautariste. Rendre l’homme déraciné, sans tradition ni identité, sans réseaux, sans solidarité civile, ethnique, religieuse ou politique, c’est faire de lui une proie facile et docile de devant l’Etat et ses politiques.

L’Etat républicain français a toujours eu la phobie des solidarités qu’il ne contrôle pas, et des identités fortes, qu’elles soit régionales, linguistiques ou ethniques, d’où le « La France Une et Indivisible » réalisée sur le massacre de la dissidence vendéenne anti-républicaine. Aujourd’hui, après avoir toléré le repli identitaire d’une seule communauté sous prétexte de « dette de collaboration » (jamais soldée), le repli identitaire à droite de la droite s’organise de plus en plus (réaction au pseudo Racisme anti-blanc !).

Je rappelle juste que le communautarisme des musulmans en France existe par défaut, c’est à dire que les musulmans l’ont subi et absolument pas organisé. Aujourd’hui je lis chez certains esprits malades tombés dans le délire islamophobe le plus loufoque « qu’il y avait des cerveaux comploteurs qui avaient tout préparé pour Islamiser la France (!!!!????) » Ce sont les musulmans qui sont responsables de la colonisation ? De la baisse de la natalité française ? Des trente glorieuses ? Du regroupement familial ? De leurs parquements dans les cités-dortoir ? De la loi sur la nationalité ? Les musulmans sont très souvent inertes, passifs et fatalistes, malgré cela ils sont coupables, car ils vivent et veulent vivre selon les principes de leur religion.

Aujourd’hui, avec la nouvelle génération de musulman français nés dans ces cités-dortoir et ces ghettos, il y a renouvellement des consciences politiques et religieuses : s’il n’y a pas de travail pour des musulmanes voilées ou des musulmans barbus, diplômés ou non, ils créeront leurs propres emplois, si l’école publique laïciste exclut, le système d’éducation privée se développera, etc… Et que les intellectuels au service de l’État appellent cela communautarisme, cela nous importe peu, nous n’avons plus cette logique de soumission post-coloniale de crainte, car nous nous appellerons cela tout simplement « vivre ».

Donc ce pseudo-combat contre le communautarisme est un combat pour maintenir les musulmans non seulement exclus mais au bas de l’échelle sociale, en leur faisant passer un message simple : si vous voulez monter dans la hiérarchie, reniez vous, reniez votre histoire, votre origine et surtout reniez votre religion. Et en France on remarque très bien le logiciel de ces « bougnoules et ces bamboulas » qui sont en haut de l’affiche.

GM : Par ailleurs, quel regard portez-vous sur les personnes, en Occident et particulièrement en France, qui se convertissent à l’Islam ?

AAY : La conversion des occidentaux à l’Islam suit toujours le même raisonnement logique et méthodique qui, bien mené à son terme, amène à la conversion. La finalité de l’Occident est en quelque sorte l’islam. Il y a quelques chose de Meta-historique dans la destinée de cette partie du monde : certains historiens marquent le début de l’Occident avec la conversion de l’empire romain au christianisme venu d’Orient, il n’est pas bête de penser et même logique de croire que sa finalité se trouve dans l’Islam, venu d’Orient, qui parachève le message de Jésus, historiquement dévoyé. Donc il n’y a rien qui me surprend dans ces conversions.

GM : Si la France (politique, médias, et également de nombreux Français) est autant et toujours bloquée sur l’Islam et les musulmans, c’est selon vous notamment en raison de son intolérance vis-à-vis de la diversité et notamment de la singularité des individus. L’uniformisation des musulmans, au même titre que celle d’autres citoyens, n’est-elle pas possible ?

AAY : Il y a un grand mensonge français qui fait partie des choses à détruire pour moi : le mythe de la tolérance républicano-laïque. Je rappelle que le terme tolérance est souvent utiliser dans le monde de la médecine et des soins : c’est un seuil où le patient tolère une douleur pour arriver à sa guérison. En science politique et sociale on a la même idée : tolérer indique de supporter une différence avec laquelle on est pas forcément d’accord pour pouvoir vivre dans une société en paix.

On tolère beaucoup de chose avec lesquelles on est profondément opposé, c’est comme cela vivre en société. Mais vis-à-vis de l’islam, la tolérance est complètement mensongère : le voile n’est pas toléré, les signes religieux ne sont pas tolérés alors même qu’ils font partie de la liberté individuelle et des droits personnels: déjà que certains tolèrent à peine la tête d’un français(e) d’origine arabo-africaine, alors si en plus il porte des marques d’une religiosité telle que l’Islam…C’est totalement cuit.

D’ailleurs aujourd’hui, avec les convertis (Français de souche), on se rend compte que le racisme a pris pour cible l’islam avec ce qui est compris de symbole vestimentaire, de pratique ou de comportements. Le racisme anti-arabe et anti-noir est juridiquement socialement trop dangereux (s’il est flagrant !), donc on remplace ce fond par des thématiques anti-islam. Et on comprend comment le thème de la laïcité (issue de la Gauche) se retrouve par haine anti-islam à l’extrême droite, alors que tout historien et politologue sait que la laïcité n’est pas une valeur traditionnelle de la Droite et encore mois de l’extrême droite !

L’uniformisation n’existe plus pour personne au XXIème siècle : nous ne sommes plus à l’époque de la IIIème république (raciste, coloniale et impérialiste !). En Occident, c’est l’individualisme qui prime (pour le pire et le meilleur) et s’il y a uniformisation, c’est juste pour le seul bien de la société marchande : sur le mode de citoyen électeur-travailleur-consommateur. Concernant l’uniformisation des idées, des croyances, etc : seul un système totalitaire a pu et pourra uniformiser les individus.

GM : Considérez-vous l’école et les médias comme les principaux outils de propagande des idéologies séculières, et notamment la démocratie, que vous combattez ? Comment se comporter face à ces institutions difficiles à contourner ?

AAY : L’école en France est bien plus que cela : les pères fondateurs de l’école républicaine (IIIème république) l’ont créée comme un outil de contrôle, de formation et de transformation des citoyens. Je rappelle la célèbre phrase de Mussolini « la transformation de l’instruction publique en Education Nationale est la plus fasciste de mes réformes ».

Et historiquement, la philosophie républicaine et laïque autour de l’éducation en France, anticléricale, anti religieuse, libertaire et athée, a eu des buts d’embrigadement, d’endoctrinement et de propagande assez clairs, bien soigneusement cachés derrière la liberté de pensée et l’esprit critique, ou la diffusion du rationalisme éclairé.

Aujourd’hui le niveau de l’éducation est tel, que je ne pense même plus que ces institutions constituent un danger : l’inculture de masse, la vulgarisation et l’appauvrissement des savoirs, ruinent eux-mêmes les buts politico philosophiques de l’école française.

GM : Comment percevez-vous le combat idéologique et politique de Daesh, dont on parle quasi quotidiennement dans les médias ? Sont-ils les apôtres d’une « islamisation de la modernité », que vous décrivez comme une ineptie résolument moderne ?

AAY : Je pense personnellement que Daesh est exactement ce qu’a été le Stalinisme pour l’idéal « Marxiste-Leniniste » : une déviation d’un projet louable au départ, une appropriation par un petit groupe d’Irakiens d’une idée globale à leurs petits profits et intérêts personnels et immédiats.

Je ne pense même pas qu’ils sont dans une optique d’islamisation de la Modernité : mis à part les moyens techniques à leurs dispositions, et des formes utra-modernes de leur communication qu’ils usent pour arriver à leurs fins, je pense en réalité qu’ils n’ont jamais eu de projet viable, préparé et réfléchi en amont, sinon extrêmement théorique et basique (qu’ils puisent dans la littérature classique de l’islam médiéval).

Ils ont basé leurs expansions sur le volet purement militaire (jihad) avec de la tactique à court terme, sans réelle vision stratégique, et pire, aucunement politique en réalité, et on sait qu’ils ont été eux-mêmes surpris par leurs rapides conquêtes.J’ai beau, par exemple, chercher une description viable du fonctionnement de leur « état  » ne serait-ce qu’en simple projet et hypothèse, il n’y a absolument rien, tout est opaque, caché et secret : pour un état c’est un comble.

Il n’y a pas d’islamisation de la modernité. Il y a des fondements ultra-réactionnaires qui cherchent à se venger de l’impérialisme occidental et de ses crimes dans cette région et faire payer le prix aux collaborateurs occidentaux (Chiites et kurdes), puis d’asseoir brutalement un leadership en éliminant systématiquement tout ceux qui osent critiquer les dérives. Or ce qui est basé sur la force peut-être renversé par la force car il n’y a justement pas de combat idéologique et politique chez Daesh.

Source

Rédaction

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