L’éventuelle accession du Rassemblement National (RN) au pouvoir en France après les législatives de 2024 suscite des spéculations sur une possible dégradation, voire rupture, des relations franco-algériennes. Toutefois, plusieurs facteurs tempèrent cette perspective.
Scénario incertain
Premièrement, le RN, bien que prometteur dans les sondages, n’a pas encore gagné les élections. Les dirigeants du parti, dirigé par Jordan Bardella, ont clairement indiqué qu’ils n’accepteraient de gouverner qu’en cas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Deuxièmement, le parti pourrait modérer ses positions sur les questions algériennes, comme il l’a fait pour d’autres dossiers à mesure qu’il s’approchait du pouvoir. « Les discours enflammés se refroidissent rapidement sous l’effet d’une douche réaliste », a déclaré Soufiane Djilali, président du parti politique algérien Jil Jadid.
Conséquences potentielles
Si le RN obtenait une majorité absolue et mettait en œuvre ses promesses sur l’immigration, l’accord de 1968, et les questions mémorielles, cela pourrait entraîner des tensions significatives avec l’Algérie. Une forte communauté algérienne réside en France, et le RN en a fait un point de fixation.
- Expulsions et Visas : Le RN a promis l’expulsion immédiate des sans-papiers algériens et la réduction drastique des visas pour les Algériens. Le parti veut conditionner les visas et les transferts de fonds à la reprise par l’Algérie de ses ressortissants en situation irrégulière.
- Binationaux et emplois stratégiques : Le RN prévoit de durcir les conditions de séjour et d’exclure les binationaux, notamment les Franco-Algériens, de certains emplois « stratégiques ».
- Accord de 1968 et mémoire coloniale : La révocation de l’accord de 1968 serait un casus belli pour l’Algérie. Bien que ses avantages soient contestés, cet accord symbolique est crucial pour l’Algérie. La révision ou la révocation de cet accord nécessiterait des négociations. L’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, a averti que cela pourrait entraîner une rupture des relations diplomatiques.
Dépendances économiques réciproques
Économiquement, l’Algérie a réduit sa dépendance envers la France en diversifiant ses partenariats avec la Chine, la Turquie, l’Italie, et la Russie. En 2023, l’Algérie était parmi les principaux fournisseurs de gaz de l’Europe, et ses exportations d’hydrocarbures vers la France ont augmenté de 15,3%, atteignant six milliards d’euros. Le gaz représentait 51,8% de ces ventes et le pétrole brut 41,2%.
- Diversification des partenaires : L’Algérie a intensifié ses relations économiques avec la Chine et la Turquie, réduisant l’impact d’une potentielle dégradation des relations avec la France. Les produits importés de France peuvent être remplacés par des alternatives chinoises ou turques à des prix compétitifs.
- Fournisseur d’énergie stratégique : L’Algérie est un fournisseur d’énergie crucial pour l’Europe, notamment pour la France. En 2023, les exportations d’hydrocarbures vers la France ont bondi de 15,3%. L’Algérie est devenue un acteur incontournable sur le marché énergétique européen, et cette position stratégique lui confère un levier important dans les relations bilatérales.
Relations bilatérales et perspectives futures
L’Algérie et la France ont des intérêts réciproques et profonds, particulièrement dans les domaines de l’énergie et de la sécurité. Les experts soulignent que la France bénéficierait de maintenir des relations stables et mutuellement avantageuses avec l’Algérie.
- Sécurité régionale : En matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme au Sahel, la France a besoin de la coopération de l’Algérie. En 2013, la bonne entente entre les présidents Abdelaziz Bouteflika et François Hollande a permis à la France d’utiliser l’espace aérien algérien pour son intervention au Mali.
- Investissements et coopération : La France cherche à préserver sa place en Algérie face à la concurrence des entreprises turques et chinoises. L’augmentation des livraisons de gaz algérien à la France, à la demande du président Emmanuel Macron, illustre l’importance de cette coopération.
Conclusion
L’éventuelle arrivée du RN au pouvoir pourrait engendrer des tensions, mais les implications seraient complexes et interdépendantes. Une rupture totale serait préjudiciable pour les deux pays, qui ont des intérêts économiques et stratégiques profondément imbriqués. Une approche équilibrée et respectueuse des deux côtés serait bénéfique pour maintenir des relations stables et mutuellement avantageuses. Soufiane Djilali plaide pour « une relation équilibrée et de respect mutuel » afin de préserver les intérêts communs, quels que soient les gouvernements en place.